Anecdote à Jaïpur
Je descends au sud retrouver un ami à Goa. Je m’arrête à Khajurâho; cette ville est connue pour ses temples érotiques, il y en a quatre au milieu d’un parc fleuri de bougainvilliers. Des représentations du Kâma-Sûtra y sont sculptées avec beaucoup de finesse. Après m’être baladé, je vais faire un tour dans les magasins. Je sympathise avec un vendeur, il a dix-sept ans et deux pouces à chaque main. C’est un vendeur extraordinaire, il parle trois langues, nous choisissons le français. Il m’offre un thé. Nous discutons sans façons depuis deux heures quand un couple d’Allemands entre. Mon nouveau copain essaye de leur vendre une reproduction érotique qu’il prétend « very old » ; il peine un peu car ils ont déjà acheté pas mal de souvenirs. Je lui demande en français s’il veut un coup de main, il sourit. J’engage la conversation mais ils cherchent tout à fait autre chose, le prix est élevé et il est difficile de transporter ce genre d’achat. Toutefois, je parviens à conclure la vente. Quand ils quittent le magasin, lui et ses associés éclatent de rire et m’invitent au restau à grand renfort de tapes dans le dos.
Autour d’un thali(1), nous parlons affaires, ils me proposent de leur amener des clients contre 40% de commission. Ca pourrait être lucratif mais je n’ai pas vraiment besoin d’argent et je n’ai pas envie de m’arrêter ici, je m’ennuierais vite. Arrive un Indien catholique, il me souhaite le bonsoir en français (avec « bonjour » et « merci » c’est tout ce qu’il connaît). Il m’invite à sa party pour Noël, il y aura une trentaine de moines français et autant d’Indiens francophones. Il est sympathique et je finis la soirée avec lui. Il se dit businessman et me propose de transporter pour son compte des pierres précieuses en Thaïlande. Un paquet d’une valeur de 1000 $ que je dois remettre à un de ses contacts à Bangkok. Je serai payé 2000 $ pour ce service. Il ne le fait pas lui-même, car il serait taxé à plus de 200 %. Je dois juste lui laisser mon nom et numéro de passeport. C’est trop d’argent par rapport au travail demandé ; soit il y a un risque important, soit il y a une arnaque. J’attends donc de voir ce qui va venir. « Ah oui, ajoute-t-il, il me faut 285 $ en garantie ». Ok, c’est une arnaque. Ça y est, il m’a énervé ! Alors à moi maintenant. Je me renseigne sur les risques, sur son contact, me montrant tour à tour méfiant et avide, puis je conclus en disant : « je suis ok. Voilà mon nom et mon numéro de passeport, je dois aller chercher mon frère à Jaïpur et dans trois jours, nous faisons affaire. A propos, si tu as un boulot pour lui, ce serait super ». Mmmoui, il pourra peut-être s’arranger… (c’est un homme d’affaires très occupé). Avant de nous quitter, il me demande de lui apprendre les paroles « d’Au clair de la lune ». Il voudrait la chanter à ses amis moines pour sa fête en conclusion de son discours de bienvenue (en anglais). Je lui apprends une version… différente mais non moins intéressante. L’imaginer sur l’estrade, entamant religieusement cette perle de la chanson française est un régal. Je lui écris les paroles et lui fais sévèrement travailler sa prononciation. Nous nous séparons.
– Salut, à dans trois jours avec ton frère.
– Sans faute. N’oublie pas de garder une petite affaire pour lui et… bonne chance pour demain soir. En m’éloignant, je l’entends répéter consciencieusement « Au clair de la lune comme un saligaud, j’enculais ma brune sur un tas d’fagots… » Il y aura une soixantaine de moines francophones dans l’assemblée et je vais rater ça. Quelle misère !
(1) Plat indien composé de plusieurs mets servi dans une grande assiette en fer compartimentée