Anecdote inédite à Calcutta (Donner)

Récit de voyage en Inde (Donner)

Anecdote inédite vécue à Calcutta

“Il y a quelques années, j’attendais un mandat postal à Bangkok ; j’étais sûr qu’il arriverait et j’avais dépensé ce qui me restait la veille pour fêter mon départ. Le mandat n’arrive pas et je suis raide.

A l’aéroport, j’arrive à négocier et parviens à m’envoler pour Calcutta sans payer mes taxes d’aéroport. Il me reste à passer trois jours dans cette ville avant mon retour à Bruxelles. Je mange beaucoup dans l’avion car il ne me reste que quelques dollars. A l’aéroport de Calcutta, j’arrive à convaincre un gars sympa de m’amener avec sa moto au centre ville.

A Sudder street, le quartier des routards, je m’installe dans une chambre miteuse âprement négociée. Seul un charpoy (*) meuble cette pièce moite de cinq mètres carré aux murs moisis d’humidité. Une ampoule nue me donne un la lumière que ne me donne pas la petite fenêtre à barreaux laissant par contre passer tous les bruits de la rue.

Le lendemain, je traîne sans but dans les rues moites de la ville. Un miséreux, comme il y en a des milliers ici, tente de m’expliquer avec trois mots d’anglais qu’il a quitté son village ravagé par la mousson pour trouver du travail à Calcutta. Sa femme et ses enfants y sont toujours. Il ne trouve rien dans cette mégalopole et crève de faim pire que dans son village. Il veut les retrouver, il lui faudrait six dollars… Il est blessé à la jambe, ses mains calleuses sont tendues vers moi, son visage marqué n’est que supplique, il est désespéré. Je lui dis que je n’ai plus d’argent et vois une ombre passer dans ses yeux : il ne me croit pas… comment le pourrait-il ? Je suis occidental, j’ai déboursé plus d’argent pour mon billet d’avion que lui pour sa maison et son champs. Lire dans les yeux de cet homme au bout du rouleau l’écoeurement face à ce qu’il prend pour un mensonge de ma part, me dévaste et je pars précipitamment.”

Quelques années plus tard, je suis avec ma femme en Birmanie. Rangoon n’est pas une ville agréable, elle est poussiéreuse, torride et humide… un type nous accoste, l’air désespéré, lui non plus ne peut rentrer chez lui par manque d’argent. Je donne.

– Tu t’es fait avoir me dit Sandrine, c’est un truc pour te soutirer de l’argent.
– Peut-être, mais il avait l’air sincère… et imagine que ce soit vrai, ajoutai-je, tu te rends compte de ce que je viens de faire pour quelques dollars ? J’ai changé sa vie, réuni une famille ! De toute façon, j’avais un compte à régler avec moi-même !”

*lit fait d’un cadre en bois et dont le sommier est fait de cordes tressées)