Category Archives: récit de voyage

27Avr/22
mine antipersonnelle au Cambodge

Les mines anti personnelles au Cambodge

Il y a quelques temps, j’ai rencontré Mike, lors d’un voyage au Cambodge. Nous avions assistés émerveillés à un ballet khmer ; les jeunes filles, vêtues comme des Apsaras, donnèrent une représentation exceptionnelle, ces danses sont aussi compliquées que codifiées. Il ne reste qu’une seule danseuse du Ballet Royal, une vielle dame –seule survivante de sa génération- qui enseigne son art aux jeunes filles pour qu’il ne disparaisse pas à tout jamais. Elles ont des gestes d’une grâce sans pareille, avec ces mouvements qui serpentent d’une main à l’autre, ces postures si gracieuses et si extrême-orientales.

Toutes les anecdotes vécues au Cambodge sont dans le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

Mike est australien, ancien officier de la légion étrangère, tombé amoureux du pays en 1992 alors qu’il était envoyé comme casque bleu pour sécuriser les élections. Aujourd’hui, il vend des peintures sur soie dans une échoppe et aide les démineurs. Il est installé avec Sopheap, sa femme, et Rupert, son python que je verrai grandir au fil de mes passages. En moins d’un an, je parviendrai à peine à le porter tant il était devenu lourd.

Un jour, il me parla des élections. Il faut savoir que Mike est un type au physique impressionnant : larges épaules, cou de taureau, des bras aux muscles noueux, tatoués de l’épaule au poignet. Mais le plus impressionnant reste ses yeux bleus perçants qui distillent tant un calme froid qu’une indicible force. Sergent à l’époque, il alla voir le commandant khmer rouge, « comme ça, pour mettre les choses au point, tu comprends ? », posant les poings écartés sur la table, il le regarda dans les yeux en détachant chaque syllabe.

– Une chose doit être claire : si un seul de mes hommes est blessé, de quelque manière que ce soit, au cours de vos petites attaques de merde, on enlève nos casques bleus, on remet nos képis et on vous tue tous.
Le Khmer rouge, qui n’était pas exactement un enfant de chœur, resta impassible mais on remarqua au cours des nombreuses attaques qu’ils firent tout au long des élections, qu’aucune ne fut jamais dirigée contre les légionnaires qui se prélassaient tranquillement dans leurs hamacs.
Il a tout compris de sa mission de casque bleu, quelques mots doux judicieusement placés valent mieux qu’une balle.

Mike garde dans son échoppe, un échantillon de chaque mine que l’on trouve ici ; il les maudit et veut montrer aux gens de passage à quel point ces armes sont destructrices. Quand il en parle, ses yeux s’enflamment, il s’emporte souvent contre ces fabricants de mort.

Le Cambodge comme si vous y étiez ! Découvrez ce pays dans le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

mine antipersonnelle au Cambodge

mine antipersonnelle au Cambodge

– Si le diable avait voulu faire du commerce, dit-il, c’est ça qu’il aurait choisi. Ces saletés ont été posées lors des différentes guerres, regarde, ça ce sont des « 72a et b », une mine chinoise posée par les Khmers rouges, ça c’est une « PM N2 », une mine soviétique posée plus tard par les Vietnamiens…

mine antipersonnelle au Cambodge

mine antipersonnelle au Cambodge

On la trouve couramment en Afghanistan ; peu de métal donc difficile à détecter, une pression de vingt kilos suffit à les faire exploser. Il y a aussi les mines « POMZ-2 » à fragmentation ou encore les mines bondissantes. Ce sont les modèles les plus répandus. Et puis il y a toujours les « UXO »(1) ces bombes et obus qui n’ont jamais explosé mais causent toujours un grand nombre d’accidents mortels tous les ans.

Le Cambodge est avec l’Afghanistan le pays le plus miné au monde. A l’origine, on utilise les mines pour se garder de ses ennemis et lorsqu’on mine un terrain, on fait un plan précis de leurs emplacements pour pouvoir y circuler et les récupérer le cas échéant. Au Cambodge, ils ne faisaient pas de plans. Les mines étaient le plus souvent abandonnées sur place… De toute manière, avec les pluies de la mousson, elles se déplacent et un plan serait vite obsolète. Plusieurs millions de mines furent placées au Cambodge. Une mine coûte entre 3$ et 128$, quand le déminage – à cause de la main d’œuvre, la logistique et le matériel qu’il nécessite – coûte de 30$ à 1000$ par mine. Reste un autre problème difficile à chiffrer mais tragique sur le plan économique : la non exploitation agricole des zones minées ou supposées telles. C’est un terrible facteur d’appauvrissement pour les paysans.

Les souvenirs de voyages au Cambodge de Lionel Cieciura sont dans le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

Mike m’explique qu’il y a deux façons de neutraliser une mine : on la localise au détecteur et on la fait sauter avec un bâton de dynamite ; c’est lent mais les risques sont réduits. L’autre méthode, la française, consiste à la situer au détecteur puis à la déterrer en plaçant une épingle dans la goupille (même principe qu’une grenade). On les met en tas puis on les fait sauter ; plus rapide mais plus risqué.
– “Les paysans s’en servent pour protéger leurs récoltes des voleurs, pour pêcher même… c’est un vrai fléau. J’ai beau en avoir désamorcé des centaines, la poussée d’adrénaline est toujours la même : la peur me noue l’estomac. Mais chaque fois que j’en neutralise une (ses yeux brillent), tu ne peux t’imaginer ce que je ressens : je me dis que je viens de sauver une vie.”

Sopheap, sa femme est infirmière pour une ONG ; lors d’un repas, elle m’explique qu’une personne sur deux ne survit pas à l’explosion d’une mine ; soit la victime a moins de douze ans et sa petite taille ne résiste pas à la déflagration, soit elle n’a pas l’argent pour se rendre à l’hôpital, soit encore, ce dernier, faute de personnel ou de médicaments ne peut dispenser les soins nécessaires. Il arrive souvent qu’une victime meure sur place des suites de ses blessures car personne n’ose aller la chercher de peur de sauter aussi.

Une prothèse coûte au minimum quarante dollars auxquels s’ajoutent dix heures de rééducation avec un spécialiste ; le moignon étant très sensible, la partie sur laquelle il repose doit être remodelée plusieurs fois ; une vingtaine de fois au cours de la croissance. Un adulte, lui en change environ quatre fois.

mine antipersonnelle au Cambodge

mines anti personnelles au Cambodge

21Mai/21

Souvenir du triangle d’or

Rencontre de la Tribu Akha dans le Triangle d’Or

En 15 ans de voyages, j’en ai beaucoup, il ne m’est pas facile de faire une sélection

Nous faisons quelques incursions en Birmanie, pas trop car il y a des troubles en ce moment. Nous commençons à apprécier cette végétation épaisse où les arbres sont parasités par toutes sortes de plantes qui augmentent encore le désordre sauvage. Contrairement à nos forêts entretenues, les arbres ici s’imbriquent les uns dans les autres. Des lianes moussues pendent dans un inextricable fouillis de végétation à l’infinie gamme des verts.

Nous allons dans des endroits vraiment reculés. Nous arrivons dans une tribu Akha dont certains membres arrivent juste des jungles birmanes et n’ont encore jamais vu de Blancs. Je n’ai pas trop de peine à approcher les enfants, mais Pinan nous recommande de ne pas nous asseoir trop près d’une vieille dame apeurée par notre présence.

 

J’ai pu entrer en contact avec elle en passant par les enfants. Je me sers de diverses astuces pour me faire accepter, comme le zoom de mon appareil photo ou la lumière bleue de ma montre électronique, les enfants adorent ça. Là, j’ai sorti mon couteau suisse ; voyant les enfants fascinés, la vieille dame s’est petit à petit rapprochée. Je le lui ai mis en main, lui en ai expliqué l’usage, et c’était parti. Lorsque je mis le feu à un bout de papier grâce à la petite loupe et aux rayons du soleil, ce fut la gloire !


La marche est toujours difficile mais nous avons pris le rythme. Après une douzaine de jours, nous arrivons dans un village Meo, les habitants se révélèrent charmants mais le premier contact fut tendu. Nous gravissions la petite colline qui mène au village lorsqu’au sommet cinq types, l’air farouche, pointent leurs vieilles pétoires sur nous en aboyant dans leur dialecte.

Pinan leur parle d’une voix calme et douce, il explique que nous venons en amis, que nous cherchons juste un toit pour la nuit. Nous ne comprenons rien à ce qui se dit et ne sommes pas rassurés. Finalement, ils se radoucissent, baissent les fusils et nous laissent passer en souriant.

On se regarde le cœur battant, Pinan nous fait un clin d’œil. Ils nous offrent du thé et Pinan explique qu’il y a trois semaines, des gens venus de Bangkok, accompagnés d’un Blanc, ont emmené des filles contre paiement de trois cents dollars par tête -une fortune pour ces gens- assurant aux familles qu’elles auraient un travail comme employées de maison ou nounous à Bangkok. En fait, elles ont été envoyées dans des bordels ; les moins jolies ont travaillé comme esclaves dans des ateliers clandestins à coudre des vêtements de contrefaçon. Ils ont dit qu’ils reviendraient en prendre d’autres mais une des filles a réussi à s’échapper et à rentrer au village.

Elle a expliqué ce qu’elle avait subi et les habitants -ces paysans pauvres et sans instruction- étaient furieux et les attendaient de pied ferme.

Pour se faire pardonner de ce qu’ils ont considéré comme un manque d’hospitalité, une dame avec laquelle nous avions pas mal échangé m’offre un petit chapeau tissé à la main que l’enfant garde durant ses 3 premières années. Je l’ai toujours ! 

chapeau tissé à la main offert à Lionel Cieciura lors de son voyage dans le

J’ai lu dans certains journaux que les familles vendaient leurs enfants dans des bordels de Bangkok. J’étais troublé. La réalité est bien sûr plus complexe. On donne aux parents de l’argent en leur promettant un futur stable pour leurs enfants et ceux-ci leur enverront une partie de leurs revenus. Pourquoi refuseraient-ils ? On parle aussi beaucoup dans ces journaux de pédophilie. Pour moi qui adore les enfants, c’est une abomination et ces malades doivent être traqués sans pitié.

Toutefois, il faut savoir que les premiers consommateurs d’enfants en Asie sont les Asiatiques eux-mêmes qui pensent rajeunir par cette union. De plus il est toujours difficile de juger de l’âge d’un Asiatique, une fille de vingt ans peut facilement en paraître quinze voire moins, une aubaine pour des journalistes peu scrupuleux en mal de scoop.

Mais je ne minimise pas le problème car il existe, je l’ai constaté à plusieurs reprises. Les « crocodiles », c’est ainsi que les enfants nomment les pédophiles blancs, existent bel et bien et viennent laisser libre cours au vice pour lequel ils seraient condamnés en Occident.

Pinan m’expliquera qu’avec le nombre d’agences proposant des trekkings dans la jungle, une concurrence extrême s’est développée. Pour survivre, elles doivent se démarquer soit par des prix plus bas, soit en apportant quelque chose de différent. Certains ont choisi les trekkings sexuels où le client passe, à chaque étape, une nuit avec une Méo, une Lisu, une Hmong

De retour à Chiang Maï, nous nous reposons, nous faisons masser, profitons des restos et de la vie. Quelques semaines plus tard, Franck et moi nous séparons à Bangkok. Il rentre en France faute d’argent, ce fêtard invétéré a tout flambé ! Je continue vers le sud de la Thaïlande. 

Cette anecdote vous a plus ? Retrouvez-en plein d’autres dans ici : https://conseils-de-voyages.com

Continuez le voyage en commandant le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

 

13Août/20
Torajas

Les Torajas : une cohabitation avec leurs morts

À la Rencontre des Torajas en Indonésie

Retirés dans les montagnes de l’île de Sulawesi en Indonésie, les Torajas, un groupe ethnique indigène pratique un étonnant rite funéraire. La mort ne les effraie pas. En attendant que les funérailles soient organisées, les familles gardent le cœur de leur défunt chez eux et s’occupe de lui comme s’il était un simple malade. Et c’est lors de mon voyage que j’ai pu assister à des funérailles spectaculaires.

Extrait du livre « Et si c’était mieux là-bas » ? de Lionel Cieciura

Torajas« Il faut encore huit heures de voyage éreintant en bus déglingué pour rejoindre Rantepao au centre de l’île. Nous sommes en pays toraja, l’autre ethnie importante de l’île. Les paysages sont d’une beauté à couper le souffle : des rizières alentours déclinent tous les tons de vert et au loin les montagnes recouvertes de jungle laissent apparaître leurs falaises.

Rantepao est une petite ville agréable ; partout il y a des arbres en fleurs, certaines sont rouges et grosses comme de petits ballons, d’autres, de longues cloches blanches, mesurent une trentaine de centimètres. Nous rencontrons Claire dans notre Losmen (petit hôtel bon marché), une Anglaise sympa qui se joint à nous. Elle est dentiste, à 28 ans et a quitté l’Angleterre il y a trois ans. Elle a travaillé comme dentiste et professeur à l’université au Cambodge, au Vietnam et en Nouvelle Zélande. Comme la plupart des filles qui voyagent seules, elle a un caractère bien trempé, elle possède aussi cet irrésistible humour british.

Il pleut souvent à Sulawesi, ce qui explique cette exubérance de la nature ici. Nous louons une voiture et visitons les alentours. Les rizières ont une particularité ici, un trou y a été aménagé afin de piéger les anguilles. Parfois, au milieu de la rizière s’élève une colline avec quelques maisons entourées de bambous géants, de bananiers et de cocotiers.

Les maisons torajas sont montées sur pilotis et font face à un grenier à riz qui est Torajasleur réplique en plus petit. Les murs en bois sont sculptés et peints. Ce qui les distingue, c’est la toiture en forme de corne de buffle dont les extrémités peuvent s’élever à une quinzaine de mètres. Elle est construite à l’aide de milliers de bambous entrecroisés qui lui assurent une étanchéité parfaite.

J’apprendrai, en les examinant de plus près, que l’on retrouve partout les mêmes symboles et les mêmes couleurs sculptés sur les murs : le cercle représente la terre, le triangle le soleil, le coq relie l’homme à l’un et à l’autre. On retrouve aussi le Katik, oiseau magique, et toujours le buffle. Un gros pilier soutient l’avant du toit devant la maison. Parfois, des dizaines de cornes de buffles y sont accrochées l’une au-dessus de l’autre, elles témoignent de l’importance de la famille.

Les villages comptent rarement plus de trois cents habitants, ils sont organisés en seigneuries dominées par les familles nobles. Les buffles sont l’objet de toutes les attentions ; c’est le seul endroit d’Asie où ils se prélassent dans la boue quand les paysans travaillent. Pour les Torajas, la mort fait partie de la vie : ils travailleront toute leur vie afin de posséder suffisamment de buffles qu’ils sacrifieront à leur mort. Ils prendront ainsi place parmi leurs ancêtres et protégeront leurs descendants. Sans funérailles appropriées, l’âme du défunt pourrait causer des troubles à la famille.

Continuez ce périple en Indonésie en lisant le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

Les Torajas ont été convertis au protestantisme par les pasteurs hollandais mais les traditions animistes restent profondément ancrées.

TorajasNous arrivons dans une vallée couverte de rizières et bordée de hautes falaises où sont placées des Tau-tau, petites effigies sculptées pour les castes supérieures et placées dans des niches creusées dans la falaise. Ainsi l’esprit des ancêtres continue de veiller sur le village.

Je reviendrai souvent ici. Quelques années plus tard, les statuettes auront été volées pour décorer les maisons de riches occidentaux ; elles furent remplacées par des copies, mais ces vols causèrent beaucoup d’émotion dans leur communauté : un ami torajas m’a confié plus tard que c’était comme si on lui avait enlevé son père une seconde fois ; c’est difficile à comprendre pour nous car leur conception de la vie et de la mort est complètement différente de la nôtre.

Des funérailles torajas auront lieu demain, c’est la partie la plus spectaculaire de leur culture. Nous arrivons dans le village où va se tenir le sacrifice. Des gens vêtus de sarongs noirs et de tee-shirts blancs forment un cercle, se tiennent les mains et entament un chant lancinant ; il s’agit plutôt de sons car ils font des HAAAA, HOOOO, HAAAA en sautant légèrement sur leurs talons ce qui produit un effet étrange. Je me rapproche des maisons et très vite on m’invite à y entrer. Ils sont accueillants et curieux. En buvant le thé, j’apprends que la personne dont on célèbre les funérailles est une femme qui fut aimée et respectée. Elle est morte il y a sept ans.

TorajasDurant tout ce temps, la famille a travaillé dur pour organiser ces funérailles. La dame a été momifiée grâce à des injections régulières de formol et est restée dans la maison sur une chaise.

Vivez l’aventure au plus près en commandant le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

Cette pratique devient rare, je la rencontrerai encore une fois au cours de mes voyages. La défunte parée de ses plus beaux habits traditionnels et de ses bijoux trône dans un coin de la pièce, ils disent bien que cela ne sent pas très bon mais il importe de lui offrir des funérailles dignes de ce nom. Certains vendent des terres, se ruinent même pour acheter des buffles car plus il y en a, mieux l’esprit de la personne sera conduit vers l’au-delà (c’est aussi une question de prestige). Le gouvernement finira par imposer des quotas sur le nombre de buffles à sacrifier. Pour l’heure, il y en a soixante dont deux albinos -les plus chers-. Après le sacrifice, la viande sera répartie entre les convives : celui qui apporte un cochon recevra l’équivalent en viande ce qui entraîne toujours d’âpres négociations. Le reste sera vendu.

Après un rapide calcul, le prix de soixante buffles plus les taxes s’élève à plus de quarante mille dollars ! Le village, créé pour l’événement, est constitué d’une quinzaine de maisons en bambous à deux étages, disposées en cercle. Plus tard dans la journée viennent les sacrifices. Cochons d’abord. On les amène suspendus à des bambous transportés à dos d’homme. Ils sont posés à terre, les uns à côté des autres et assistent impuissants au massacre de leurs congénères en voyant le long poignard se rapprocher un peu plus chaque fois, puis viendront les buffles.”

 Retrouvez tous mes voyages dans mon livre « Et si c’était mieux là-bas ? ».

La totalité des ventes du livre est reversé à un projet humanitaire soutenu depuis des années par mon association Kayumanis.

 

15Juil/20
Le Dalaï Lama couverture

Rencontre avec le Dalaï Lama

Anecdote de voyage à Dharamsala en Inde

Extraite du livre “Et si c’était mieux là-bas?”

Dharamsala est une ville au nord de l’Inde ; parfois appelée la petite Lhassa car elle est la terre d’accueil du 14ème Dalaï Lama. Je l’ai rencontré lors d’un de mes passages.

« À Dharamsala, le chauffeur mettra plus d’une heure avant d’arriver à ouvrir son coffre déglingué et à nous rendre nos bagages… après cette nuit passée dans son bus cabossé, on a juste envie d’une douche et de se reposer. Une fois installés, nous buvons un thé et parlons avec le patron de l’hôtel, un Tibétain que nous connaissons bien pour avoir séjourné ici au cours de précédents passages. Il nous dit que le Dalaï lama donne une audience aujourd’hui. On y va. En chemin, on nous recommande d’acheter des Kataks (écharpes en satin ou en soie à offrir en guise de cadeau). Arrivés dans sa grande maison, nous laissons nos noms et numéros de passeport, passons une fouille sévère qui ne nous laisserait pas même un cure dent, abandonnons nos sacs et même nos montres.

Inde

Le Dalaï lama représente pour moi la bonté ; son visage rayonne de ce petit sourire humble et malicieux qui ne le quitte jamais. Il incarne la lutte non-violente pour le respect des droits de l’homme, pour le droit d’un peuple à vivre libre et en paix ; je le respecte infiniment pour cela. Au niveau religieux, par contre il ne signifie rien pour moi. C’est une autre histoire pour la masse de pèlerins tibétains présents ; ils sont intimidés, apeurés, ébahis ; ils n’en reviennent pas d’être là. Ils vont rencontrer l’incarnation de leur Dieu, l’être qu’ils vénèrent le plus au monde. Je les trouve touchants ; c’est sans doute le moment le plus important de leur vie.

Dans la file je commence à faire l’imbécile avec Sandrine en me moquant de la dégaine de certains (derrière leur dos, car je suis très lâche). Il y a deux Américaines déguisées en Tibétaines avec robe, tablier, chapelet : la panoplie complète, elles avancent mains jointes, le regard lointain. Non loin d’elles, une Française, chapelet et mains jointes également, perdue dans je ne sais quelles pensées également, perdue dans je ne sais quelles pensées mystiques. Il y a vraiment des cas ici !

Partout on retrouve ces attitudes vestimentaires à la Dupont et Dupond en mission secrète cherchant à se fondre dans la population mais tombant systématiquement dans le folklore. Les Américaines sont les championnes ; en Inde, elles portent le sari, au Maroc, le caftan et le foulard sans oublier les dessins au henné sur les mains. Bien sûr, il y a toujours des Européens prompts au carnaval mais ça reste l’apanage des Américains. Je me demande s’il ne s’agit pas d’un complexe dû à la manière dont leur gouvernement aime à s’imposer dans le monde. Nous leur avons même trouvé un nom : les « culture shock » en référence à cette expression qu’ils utilisent à tort et à travers (ils ont même un guide de voyage qui porte ce nom).

Lisez d’autres anecdotes survenues en Inde en commandant le livre “Et si c’était mieux-la-bas ?” 

Comme tout le monde, nous tenons notre Katak à la main pour l’offrir mais un garde du corps nous intime l’ordre de nous le mettre autour du cou et de ne plus l’enlever.

– Eh Sandrine, regarde celui avec sa peau de mouton sur le dos, il est pas beau lui, franchement ? C’est le carnaval de Rio ! Attend, attend, je ne l’avais pas vu celui-là derr…

– Attention, Monsieur le malin, ça va être à toi ! m’interrompt-elle en riant.

Je me retourne, tends machinalement la main… au moine qui se tient à côté du Dalaï LamaDalaï lama. Je le regarde et me dis « merde, c’est pas lui » je pivote légèrement ma main, le Dalaï lama la sert dans la sienne et me sourit.

Je me sens stupide, je lui rends un sourire qui me semble niais puis dois laisser la place au suivant, je ne l’ai vu que dix secondes (et encore, je me vante), je savais que ça allait vite mais quand même.

Marchez dans les pas de Lionel Cieciura en commandant le livre “Et si c’était mieux-la-bas ?” 

On m’avait parlé de sa poignée de main ferme et de son regard direct, de l’aura qu’il dégage. Je n’ai rien senti de tout ça, il m’a fait un sourire chaleureux mais bon il salue quand même deux cent cinquante inconnus sur une matinée ! Beaucoup de Tibétains sortent en pleurs, les Américaines ont reçu la lumière.

Les gens qui changent de religion m’ont toujours amusé ; adopter une religion d’ici me semble vraiment saugrenu. Comme chez nous au Moyen Age, la religion n’est pas qu’un rituel, c’est un mode de vie ; tout le monde est croyant ici, la question de la foi ne se pose même pas. Elle est présente dans les arts, l’architecture, les contes pour enfants ou encore l’alimentation. Qu’un Occidental suive les principes philosophiques du Bouddhisme ou de l’Hindouisme, pourquoi pas mais qu’il s’habille comme les gens d’ici, fasse des offrandes au temple et prie avec ferveur des Dieux dont il a entendu parler la semaine dernière, ça tient du Grand Guignol.

Je considérais déjà la conversion au judaïsme comme une plaisanterie, une opération purement théorique : on suit la religion car on l’a étudiée mais ça s’arrête là ; qu’est-ce que le judaïsme sans en comprendre l’humour, sans connaître ces milliers de petites choses qui le composent ? Encore une fois, c’est une culture, ça ne s’apprend pas, ça se vit. Alors celui qui va deux fois en Inde et trouve sa voie, tant mieux pour lui mais moi, je ne peux pas m’en empêcher : je ricane. »

Retrouvez tous mes voyages dans mon livre « Et si c’était mieux là-bas ? ».

La totalité des ventes du livre est reversé à un projet humanitaire mon association Kayumanis.

07Juil/20
Cité Angkor

Angkor : Les cités des Nymphes célestes

Au Cambodge dans une petite ville du nom de Siem Reap se trouve les anciens vestiges d’une des capitales de l’Empire khmer : la cité d’”Angkor”. Un des paysages les plus extraordinaires et stupéfiants que j’ai eu l’occasion de voir.

Extrait du livre « Et si c’était mieux là-bas ? »

Vestiges cité Angkor« L’architecture est grandiose, la beauté des sculptures et des bas-reliefs rivalisent avec celles de nos plus belles cathédrales. Nous consacrons presque toute la journée à Angkor Vat, les bas-reliefs qui racontent guerres et conquêtes sont magnifiques ; les cours intérieures, l’escalade vertigineuse des marches abruptes et érodées des temples, les murs d’enceinte, tout est sculpté et raconte leur histoire.

Angkor Vat est construit suivant un plan rectangulaire d’à peu près un kilomètre et demi de côté ; Angkor Thom, qui l’entoure, est un carré deux fois plus grand. Le Bayon en est le centre exact avec ses seize tours carrées, chacune ornée de quatre visages de deux mètres de haut constitués de gros blocs de pierre. Les visages aux sourires énigmatiques fixent les quatre points cardinaux de leurs yeux d’aveugles. Certaines semblent sortir de la jungle, d’autres se détachent sur le ciel azur. Toutes ces tours dominent un labyrinthe de galeries obscures abritant des milliers de chauves-souris.

La moto permet de circuler facilement et rapidement entre les différents temples, le site s’étend sur plus de deux cents kilomètres carrés. Le lendemain matin, nous retournons au Bayon ; la lumière matinale fait ressortir les sculptures, le soleil levant anime les bas-reliefs.

Durant les deux années où je vivrai au Cambodge, j’y reviendrai plus d’une quinzaine de fois et le parcourrai du Nord au Sud et d’Est en Ouest. A chacun de mes passages l’émotion reste intacte ; je découvrirai sans cesse de nouveaux détails, de nouvelles beautés ; au gré de la lumière les bas-reliefs apparaissent sous un jour nouveau.

Continuez le voyage en lisant le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

Les Apsara, ces danseuses célestes, taillées dans la pierre semblent charnelles Moine cité Angkoravec leurs hanches pleines, leurs lèvres pulpeuses et leurs seins si ronds qu’ils appellent aux caresses. Une chose me surprenait : pourquoi ce peuple, si souriant avait sculpté ces magnifiques déesses avec un visage si grave ? Sur les deux mille cinq cents Apsaras recensées à Angkor, aucune ne sourit. Aucune sauf une, et je me souviens de mon émerveillement lorsque je l’ai découverte sous une pluie de mousson entouré de cette odeur puissante de terre et de végétation. L’eau l’avait rendue noire et luisante. Splendide.

Mais de tous les temples, c’est le Ta Phrom qui garde ma préférence ; englouti sous la jungle, des lianes sinueuses lèchent les murs, se coulent dans les fresques. Les immenses racines des fromagers à l’écorce argentée, ont déchaussé les blocs de pierre, faisant s’écrouler des murs. Partout, une végétation luxuriante étend ses bras, détruisant petit à petit ce qu’il a fallu des siècles pour construire. Dans ce temple où le silence n’est troublé que par le chant de quelques oiseaux tropicaux, j’aurai chaque fois le sentiment d’être un explorateur du début du siècle.

J’apprendrai que les archéologues de l’école française d’Extrême Orient n’ont jamais cherché à le restaurer : d’une part, la tâche aurait été titanesque car les racines des arbres pénètrent tout sur des centaines de mètres, étouffent les pierres sous leurs tentacules ; d’autre part ils ont voulu le garder comme un exemple de la domination de la jungle sur le temple : si on n’y prend garde, en moins de dix ans, la jungle engloutirait le site. »

D’autres anecdotes sur le Cambodge dans le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

Comme dans chaque temple, une nuée de gamins en guenilles courent à notre rencontre en riant pour nous vendre des boissons et des souvenirs. Ils sont beaux les enfants khmers.

Le Phrea Khan est un autre très beau temple, il baigne dans une étrange lumière glauque, presque irréelle, une lumière d’aquarium ; le silence de la forêt accentue encore cette impression étrange.

Nous voulons voir le Bantey Srei -l’un de plus beaux paraît-il. Le problème est qu’il se trouve à plus de dix-huit kilomètres et les pistes de sable qui y mènent sont peu sûres. Nous y allons le lendemain. 

[…]

statue cité AngkorSe trouver enfin devant ce site extraordinaire et si difficile d’accès me donne le sentiment d’être privilégié. En khmer, Bantey Srei signifie « la citadelle des femmes » il s’agit de trois sanctuaires magnifiquement sculptés. Ici, il faut payer une « taxe » d’entrée ; je présente la lettre et nos cartes aux militaires dépenaillés qui jouent aux dominos à l’entrée. Ils la regardent de longues minutes à l’envers, faisant semblant de lire avec attention, puis nous laissent entrer.

Le chef vient me trouver peu après pour une nouvelle tentative, il me demande d’abord des cigarettes, comme je n’en ai pas, il veut des dollars me dit qu’il est garant de ma sécurité et bla bla bla. Il conclut par un « donne-moi 20 $ » « écoute, si tu veux de l’argent tu en demandes au check point ». J’ai été ferme. Il y a quelques personnes mais ils sont plutôt à l’écart, Sandrine est près de la porte d’entrée à une vingtaine de mètres. Il regarde la crosse de son pistolet qui dépasse de son pantalon, puis me regarde, menaçant. « I don’t pay » dis-je décidé, j’avance et l’écarte de mon chemin. Il m’énerve ce con, qu’est-ce qu’il va faire ? Me tuer ?

Prolongez l’aventure en commandant le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

Ce temple en grès rose est une merveille et superbement conservé. D’innombrables niches abritent des statues d’une extraordinaire finesse, je n’avais encore jamais vu un tel souci du détail, c’est de la dentelle. Bantey Srei n’est pas aussi grand que les autres mais il est l’un des plus beaux. C’est ici que Malraux était venu faire ses « emplettes » à coup de burin.

Pendant les années qui suivirent, l’accès à ce temple fut de nombreuses fois fermé statue cité Angkorpuis rouvert. Cinq mois après notre passage il y eut de gros problèmes : les policiers de Siem Reap autorisaient les touristes à se rendre à Bantey Srei contre trente dollars par personne pour leur « protection », ils gagnaient ainsi pas mal d’argent.

Mais un jour, un minibus de touristes fut attaqué au lance-rocket, une Américaine perdu la vie, les autres furent gravement blessés. Il y eut de nombreux commentaires dans la presse : Sihanouk avait déclaré la route officiellement ouverte et ses opposants, pour le gêner, auraient fait sauter le minibus. On émit aussi l’idée que l’Américaine décédée était une experte en stratégie militaire en mission au Cambodge. On apprit le fin mot de l’affaire plus tard : il s’agissait juste d’une guerre entre policiers. Un policier gagne une vingtaine de dollars par mois, il est obligé de trouver des « trucs » comme la corruption, le vol ou le racket pour pouvoir vivre. Comme ceux de Bantey Srei ne gagnaient rien, ils firent sauter le minibus. Depuis, les flics de Siam Reap partagent et tout va bien, ils sont copains.

Le vol de statues et de bas-reliefs est rapidement devenu à la mode ; voler une pièce est grave mais pire encore est de casser ou scier des morceaux car c’est alors irrémédiablement perdu.

Commandez le livre “Et si c’était mieux là-bas ?” pour seulement 23,90 €

Quand Malraux vint dérober des bas-reliefs, les temples étaient encore enfouis sous une jungle inextricable. Je ne lui cherche pas d’excuses, je replace les choses dans leur contexte. Il faut imaginer un temple dont on ne connaît même plus l’existence, perdu au milieu de centaines de kilomètres de jungle impénétrable ; cela paraît moins dramatique. Ce n’est plus pareil aujourd’hui. Les plus graves dommages sont causés par les paysans des environs qui pour le compte d’hommes d’affaires de Phnom Penh ou de Bangkok, cassent les bustes au burin, scient les têtes, pillent les temples pour quelques dollars. Cela ne peut se faire sans la complicité des gardes, des policiers et des douaniers.

Tout s’achète ici. C’est inacceptable mais l’hypocrisie du gouvernement me semble pire encore quand ils condamnent -à grand renfort de publicité- un paysan misérable qui cherche juste à survivre. Allez parler de conservation du patrimoine à quelqu’un dont la famille a à peine de quoi manger. Combien de fois ai-je vu des bas-reliefs, des têtes et bustes provenant d’Angkor, d’Inde, ou d’Indonésie chez des antiquaires en Europe ou aux Etats Unis ; et combien de fois me suis-je entendu dire « si ce n’est pas moi qui les vend, ce sera un autre ».

Nous finissons toujours la journée au sommet de la petite colline face au temple d’Angkor pour voir le soleil se coucher sur ses tours.

Nous irons aussi nous balader en pirogue sur le lac Tonle sap, au milieu des villages flottants de pêcheurs, des éleveurs de serpents et de crocodiles. Un soir où nous buvions un thé dans une de ces cabanes sur pilotis nous eûmes la chance d’assister à l’un des plus beaux spectacles dont la nature a le secret ; lorsque le soleil en se couchant, passe sous la barre de nuages, nous assistons -c’est très rare- à un « soir doré », c’est un phénomène qui n’existe que dans les régions de mousson, les couleurs deviennent rouges, violettes, jaunes, oranges ; l’air chargé de millions de gouttelettes se met à briller de l’intérieur, on se croirait dans un film féérique ; tous les Khmers sortent sur leur ponton pour assister au spectacle. »

Retrouvez tous mes voyages dans mon livre « Et si c’était mieux là-bas ? »

La totalité des ventes du livre est reversé à un projet humanitaire mon association Kayumanis.

26Juin/20

Mes premiers pas sur le sol du Vietnam : ACTION !

Saïgon se trouve Sud du Vietnam. C’est dans cette ville que je vais vivre une expérience unique et marquante. Celle d’être acteur dans un film sur la guerre du Vietnam. Nous sommes en 1992, c’est la première fois que je me pose dans un pays anciennement colonisé par la France ; comment les gens réagiront ils ? La question est légitime. Et lorsqu’on me propose de jouer le GI, je trouve que je cumule un peu 😉

Voici un extrait de mon livre « Et si c’était mieux là-bas » dans lequel je vous compte mon histoire.Vietnam paysage

« C’est la première fois que je voyage dans un pays anciennement colonisé par les Français… Comment les gens vont-ils réagir à mon égard ? Froideur, hostilité ? C’est tout le contraire, beaucoup parlent français et sont heureux de discuter avec moi. Ils sont souriants et communicatifs. Les femmes sont charmantes avec leur Ao dai, cette longue tunique bleue fendue sur les côtés et portée sur un large pantalon blanc. Par coquetterie ou souci de garder leur teint laiteux, elles portent des gants montant jusqu’au coude. Un chapeau conique maintenu à l’aide d’un petit ruban achève ce qui ressemble presque à un uniforme tant il est courant. Il n’y a pour ainsi dire pas de touristes, juste quelques routards ici et là.

Tous se retrouvent aux mêmes endroits ; c’est comme ça que j’atterris au Kim café. Kim est une jeune Vietnamienne parlant bien le français. Elle m’explique tout ce que je dois savoir concernant les différents permis pour voyager dans le pays. Le Vietnam vient d’ouvrir ses portes au tourisme et il faut un permis pour chaque région traversée ; pas question de faire un pas de côté. Elle ajoute qu’un film se tourne en ce moment à l’ex-ambassade américaine. Elle s’occupe du recrutement des figurants et si ça m’intéresse je peux venir avec elle. Nous y allons à moto. En chemin, je suis surpris de voir une centaine de prostituées qui me font toutes de grands signes joyeux -que je leur retourne amicalement, en jeune homme bien élevé- on m’avait dit qu’elles avaient toutes été internées en camps de rééducation ou qu’elles avaient fui à Phnom Penh.

Je découvre cette fameuse ambassade, théâtre de tant de tragédies, de souffrances et de désespoir. C’est un énorme cube ; on dirait qu’une gangue de béton, percée de petites fenêtres, recouvre le bâtiment initial. Je m’inscris pour le lendemain ; mon cachet n’est pas celui de Stallone mais je suis curieux d’assister à un tournage. Le soir, au Kim café, je déguste avec plaisir une délicieuse baguette croustillante à la vache qui rit et crudités. L’héritage colonial a du bon !

[…]

Les deux premiers étages de l’ex-ambassade américaine sont occupés par une compagnie pétrolière. C’est la première fois depuis 1975 que des étrangers y pénètrent. J’ai le choix entre jouer le civil ou le G.I. Je n’hésite pas une seconde : je vais jouer à la guerre. Le coiffeur du tournage rase mes longues boucles. On me donne un treillis, un gilet pare-balles, un poignard, une gourde et je signe un papier contre un M16 qu’on libère de ses chaînes dans un camion spécial, me voilà soldat. Il y a parmi les figurants un ancien G.I. à la retraite (il a une tête et un accent incroyable, une vraie caricature), il fut envoyé ici à 17 ans, après une semaine de formation militaire. Il y a aussi une dizaine de métis viet-afro-américains qui vont jouer les GI’s noirs. Ils restent ensemble, leur vie ne doit pas être facile car les Vietnamiens sont très racistes envers les métis et ceux-ci sont bien typés. De plus, leur mère était certainement prostituée ; ça fait beaucoup à porter. 

On tourne la première scène : des Vietnamiens tentent de rentrer dans l’ambassade. Certains d’entres nous sont postés derrière des sacs de sable, d’autres leur crient de ne pas s’approcher donnant des coups de crosse sur la grille et filtrent les Américains et leurs femmes vietnamiennes. Moi, je me tiens virilement debout dans une jeep, derrière une mitrailleuse fixée sur un pied.Vietnam acteur

Le soir, cela devient plus amusant, c’est l’offensive du Têt. Je suis dans l’ambassade avec Don (l’ex-GI). Deux M.P. sont à l’extérieur et tirent sur les Viêt-Congs mais devant le nombre, ils se replient à l’intérieur. A ce moment Don et moi nous ruons dehors et tirons des rafales de balles à blanc. Nous nous faisons tuer presque instantanément, c’est impressionnant de les voir escalader le mur d’enceinte, hurlant comme des furieux en nous tirant dessus. Les pétards qui explosent autour de nous sont impressionnant de réalité, Don se prend au jeu, il vit le truc pour de bon.

On a eu l’occasion de discuter, c’est un gars simple mais sympa. Il vit de sa retraite de soldat aux Philippines. Je lui demande conseil de temps en temps sur les positions de combat à adopter, ça lui fait plaisir. Il nous montre ses blessures de guerre, nettoie son M60 (une mitrailleuse) avec sa brosse à dents et nous explique d’un air détaché la puissance ou le fonctionnement de telle ou telle arme… On ne comprend rien mais on fait semblant.

David, le réalisateur, est un Vietnamien émigré en Australie ; il vient me voir avec sa femme et me demande de revenir demain car ils trouvent que je suis « bien mort ». Le film est une série fleuve de vingt-quatre épisodes. Il paraît que c’est une histoire d’amour à l’eau de rose mais c’est pour la Corée, ça plaira là-bas. On finit en fin d’après-midi et nous allons tous chez Kim car Don est « fucking thirsty and fucking hungry, man »

Le lendemain, je joue une scène à l’intérieur de l’ambassade : huit Viêt-Congs ont investi un bureau. Avant de filmer, je répète deux fois la scène. « Action ». J’enfonce la porte d’un coup de pied et je les tue tous avec mon M60. Mon visage ne doit exprimer que la dureté. C’est difficile de porter cette lourde mitrailleuse d’une main -l’autre fait courir les cartouches. Mon cœur battait un peu avant la scène mais pendant c’est pire : le bruit assourdissant des coups de feu, les cris, les gars qui tombent, ensanglantés, la machine à écrire et les papiers qui volent en l’air… Ça faisait très réel. Et s’ils s’étaient trompés et avaient mis de vraies balles ? Dès qu’on entend le fameux « cut (4) » ils se relèvent en souriant et tout le monde applaudit tout le monde. Je suis presque soulagé de les voir se relever.

Vietnam film

Avant d’aller chercher notre cachet, nous rendons les armes, scrupuleusement inventoriées et rangées dans le camion. Il y a beaucoup de monde autour du trésorier. Yoram et mes autres copains israéliens sont encore occupés à enlever leurs jeans patte d’ef. et leurs chemises au col pelle à tarte de civils. Pour rire, je m’approche d’eux l’air contrarié.

– What happens, friend ? demande Yoram

– He’s a bastard, you know, he said he doesn’t want to pay the Jews (5)

La tête de Yoram ! Ce géant de deux mètres et de cent kilos de muscles qui fait partie des commandos israéliens se tourne lentement vers les autres et leur dit calmement quelque chose en hébreu. Lorsque je vois leurs têtes se transformer, j’arrête la plaisanterie. J’éclate de rire « non, non les gars, calmez-vous, je déconne, ce soir c’est la fête ! » dis-je en brandissant le paquet de dollars reçus pour tout le monde. Et c’est ce que nous nous appliquâmes à faire une bonne partie de la nuit.

Le lendemain, je laisse mon uniforme de GI pour celui d’un MP. Je marche dans les couloirs déserts de l’ambassade. Survient un Viêt-Cong ; je dégaine « hands up (6)» ! L’autre ne bouge pas, il a un rictus perfide, je répète : « hands up, shit face ». Il tente de dégainer et je tire. Il s’attendait sans doute à un coup de feu mais moi -élevé avec l’Arme Fatale- je tire, tel Mel Gibson, cinq balles en continuant d’avancer, ce qui l’oblige à mimer cinq fois le fait d’encaisser une balle.

Le dernier jour, David demande qui sait descendre en rappel, je lève la main ; je suis le seul.

– Tu te sens capable de descendre du toit de l’ambassade ? (elle fait une dizaine d’étages)

– Oui, pas de problème.

Je me retrouve là haut avec dix commandos coréens (des vrais), des cordes, baudriers et autres mousquetons… Ils ont des têtes toute rondes perpétuellement fendues d’un sourire mais je ne pense pas que ce soit des rigolos. Pendant qu’ils mettent en place leur matériel, je me promène entre les cheminées… je trouve une balle encore fichée dans l’une d’elles ; je la dégage avec mon poignard.

Une image me revient à l’esprit et avec elle ma gorge se serre. C’est, pour moi, l’une des photos les plus fortes réalisées à l’époque : un hélicoptère militaire débordant de gens est en vol stationnaire au-dessus du toit ; des bras tendus en sortent. Une femme, n’ayant pu embarquer lance son bébé pour que quelqu’un l’attrape. Que lui au moins échappe au malheur.

Vietnam équipe

Quand je vois les commandos se préparer, j’ai un doute « dites, les copains, comment vous descendez ? » Ils me montrent en riant ; ils ont compris que je comptais descendre comme en montagne : face à la paroi. Eux se mettent face au sol et courent sur le mur comme s’il s’agissait d’une route, la corde filant derrière eux. C’est effectivement plus efficace pour un soldat qui peut ainsi voir l’ennemi et utiliser son arme… c’est par contre beaucoup plus impressionnant ! Mais pas question de me dégonfler, je leur demande de me montrer comment ils tiennent la corde (contrairement à eux, j’ajoute une cordelette avec un nœud de sécurité) « Oh Plusik, vely gousss, Plusik » (prononciation mise à part, je suis surpris qu’ils connaissent la dénomination de ce nœud). C’est pas mal de descendre comme ça mais je me suis fait peur. 

Un an plus tard, attablé à une terrasse parisienne, je discute avec des amis quand un couple d’Asiatiques s’assoit à la table à côté. Ils ne comprennent pas la carte et le garçon -avec cette amabilité propre aux serveurs parisiens- les envoie plus ou moins se faire voir. Presque gêné, je leur traduis et leur suggère quelques plats. Nous sympathisons ; ils pensent m’avoir déjà vu… Je leur dis que je passe beaucoup de temps en Asie, mais je ne suis jamais allé en Corée. Puis je repense au film. “Farewell to Sang ba” me disent-ils en chœur en tapant dans leurs mains.

Photos, autographes.

Génial, je suis un people ! »

Retrouvez tous mes voyages dans mon livre « Et si c’était mieux là-bas ? ».

La totalité des ventes du livre est reversé à un projet humanitaire mon association Kayumanis.

26Juin/20

Anecdote d’un voyage en Thaïlande ou la mode de la “Bonne action – belle image”

Anecdote d’un voyage en Thaïlande

Il y a une mode terriblement énervante : on se filme en faisant une « bonne action » puis on la poste sur les réseaux sociaux afin de montrer comme on est formidable ! Bon l’idée ne date pas d’hier, voici une petite aventure qui m’est arrivée dans la jungle thaïlandaise au début de mes voyages (la fin est assez amusante… elles devraient toujours finir comme ça !)

Nord de la Thaïlande 1989, extrait du livre « Et si c’était mieux là-bas ? »

« Après quelques heures de bus nous arrivons à Paï, une petite ville encaissée dans une jolie vallée. Le soir, Didier me présente Pot et Mong, les guides avec qui nous partons le lendemain. Yves et Josiane, un couple de Français, s’est inscrit entretemps. Elle est esthéticienne, lui employé.

            Après trois heures de marche nous nous arrêtons pour manger quelques bananes près d’une rivière, puis repartons pour encore trois heures fatigantes sous un soleil à peine tamisé par le feuillage des arbres. Accompagné des ronchonnements de Josiane qui peine. Nous arrivons enfin dans un village akhas. On est vraiment loin de tout. La coiffure des femmes est l’élément le plus impressionnant de leur magnifique costume, une sorte de casque orné de cercles d’argent, de pièces de monnaies de l’époque coloniale, de perles, de petits miroirs et de pompons colorés. Leurs robes noires courtes aux bords rouge et ambre sont assorties à leurs petits gilets.

Les maisons sont construites sur le même modèle : pilotis, murs de bambous tissés et toits en feuilles tressées. Elles sont propres, les déchets des repas tombent directement par les ajoures du plancher où poulets et cochons au ventre traînant par terre les font disparaître. C’est un beau village entouré de montagnes couvertes d’une jungle dense. Au cours de mon précédent trek, on trouvait partout des pancartes contre la déforestation, tant les arbres étaient clairsemés. C’était mon premier vrai contact avec la jungle et j’avais été impressionné mais là, je découvre autre chose : la jungle comme je l’imaginais, pleine de lianes et d’arbres géants, de bestioles et d’humidité, baignant dans une lumière tamisée.

Didier et moi jouons avec les enfants avant d’aller nous laver à la rivière. Dans la jungle, les toilettes sont rudimentaires mais bien organisées : on se met à l’abri d’un buisson avec une provision de cailloux et un bâton ; les cailloux pour éloigner les cochons qui veulent se précipiter sur leur pitance, le bâton, si on les a ratés.

            Après sa toilette, Josiane se remaquille, les femmes et les petites filles du village se rassemblent autour d’elle, émerveillées par ses produits. Une petite fille avance une main timide vers son mascara. « Ah non, je ne peux pas lui donner ça, c’est beaucoup trop cher ! » Toutes la regardent fascinées. Une jeune fille lui demande par gestes son bâton de rouge à lèvres, « enfin, Yves, dis-leur, quoi ! Un rouge à lèvres, c’est comme une culotte, ça ne se prête pas ! » Yves est le type même du mari soumis. Gêné, il se dandine, trouvant un intérêt subit à sa montre.

    Pot nous prépare un repas de roi avec du riz brun, du poulet, des légumes et des ananas. Le repas fini, nous discutons autour de l’âtre situé au centre de la pièce, quand un vieil homme au visage buriné dont l’unique chicot luit à la lumière des braises, nous amène une petite fille qui a une infection à la fesse. Je sors ma trousse mais alors que le vieux s’adresse à moi, Josiane déclare en farfouillant frénétiquement dans son sac qu’elle va s’en occuper. Madame joue donc à Médecin sans frontières en désinfectant la petite « mais enfin Yves, qu’est-ce que tu fabriques, prends des photos, quoi ! » « Mais non, pas comme ça, enfin ! » – elle abandonne la fillette pour régler le flash « voilà, tu me prends hein, minou ? » « Non, pas si près, recule… ».

Plus tard dans la soirée, une dame que j’avais aidée à piler du riz -avec maladresse mais bonne volonté– me montre ses plants de pavots. Les fleurs ont perdu leurs pétales, il ne reste qu’une boule verte au sommet de la tige. À l’aide d’une petite griffe à trois lames elle incise plusieurs fois la capsule de haut en bas faisant perler un liquide blanc. Elle récoltera le lendemain cette sève devenue noire au contact de l’air. L’opium sera alors propre à la consommation.

Elle sort un morceau d’opium de sa poche, je découvre une pâte noire et compacte dont elle arrache un petit morceau. Il se détache comme un vieux chewing gum : élastique mais cassant net. L’odeur est végétale, le goût amer. Elle m’invite à en fumer ; je me couche en chien de fusil, la tête sur un coussin. Le goût est sucré, légèrement acidulé. Je prends trois pipes, je ne connais pas et préfère y aller doucement. Je n’ai pas senti grand-chose, une certaine décontraction peut-être.

            Le lendemain, Didier et moi nous amusons avec le petit singe apprivoisé de nos hôtes, Josiane nous le prend d’autorité et le met sur son épaule, le temps que Minou fasse une photo. Nous sommes face à la rivière à fumer un joint (bien qu’elle nous ait dit que c’était mauvais pour la santé).

– Regarde Didier, le singe lui pisse dans le dos. Je me retiens de rire. « Mais qu’est-ce qu’il fait le Doudou, ça me colle tout partout dans le dos » ; le singe monte sur sa tête et finit de se soulager dans ses cheveux crêpés, l’urine lui dégouline sur le visage. On éclate de rire. Les enfants et les adultes se joignent à nous et l’hilarité est générale. Madame n’a pas aimé, elle nous traite de petits cons. Elle ne nous parlera plus pendant les trois derniers jours. »

 

Ça vous a plus ? Voulez-vous en savoir plus ? Retrouvez mon livre « Et si c’était mieux là-bas ? ».

La totalité des ventes du livre est reversé à mon association Kayumanis, œuvrant pour développer le travail en Indonésie.

03Juin/20

À la rencontre des femmes girafes en Birmanie

Récit de voyage en Birmanie : rencontre des “Femmes Girafes”

Extrait du livre “Et si c’était mieux là-bas?”

“Nous voulons finir le voyage dans l’Ėtat Kayah, au sud du pays, ouvert seulement depuis un mois. Il est encore difficile d’accès, c’est là que vit l’ethnie des Padaung : les femmes girafes, je voulais en rencontrer depuis des années. Il y en a en Thaïlande mais elles ont été « importées » et sont tenues quasi-prisonnières et exposées comme des monstres de foire à la curiosité des touristes ; un juteux business organisé par l’armée et les flics locaux. Naturellement, je me suis toujours refusé à y aller.”

A la rencontre des Femmes Girafes en Birmanie“Ce qu’ils appellent des bus ici, ce sont des pick-up bâchés : deux bancs de bois placés de part et d’autre des roues entre lesquels est entassé un fatras de valises, de caisses, pneus et autres objets divers et volumineux. Pour une raison incompréhensible, les départs se font toujours à 3 ou 4 heures du matin… Durant quinze heures, nous envions les sardines, installées comme des reines dans leurs boîtes. Ces taxis-bus se traînent sur des routes défoncées, s’arrêtant plus souvent pour embarquer des gens que pour en débarquer, les derniers s’accrochent comme ils peuvent à l’extérieur. A chaque secousse nos têtes heurtent l’armature métallique du toit. Le voyage a été un enfer. Nous arrivons pliés, écrasés, épuisés. Heureusement, l’hôtel de Loiko est agréable (il n’y en a qu’un de toute façon).

Le lendemain, dépliés et réparés, nous partons à la recherche des femmes Padaung. Nous atteignons leur village vers midi. Tout est calme, le soleil est au zénith. L’air semble suspendu ; deux chiens aboient mollement à notre passage. Un chemin de terre sépare quelques maisons en bambou sur pilotis, des poules se promènent librement en picorant ici et là entre les bananiers. Un cochon rafraîchit son gros ventre dans une mare de boue.

Devant une maison, une femme assise à même le sol tisse une large couverture colorée. Nous la voyons de dos ; elle n’a aucune carrure, son cou d’une trentaine de centimètres est maintenu par une spirale de cuivre. Elle a un sourire poli quand elle nous voit, puis se remet à son ouvrage. Une autre descend les marches de sa maison. Elle est âgée et a les dents noires de betel. À leur façon de marcher et de bouger, on dirait des « E.T. » Elles portent des vêtements de couleurs vives, tissés à la main et de jolis bijoux.

Malheureusement, elles veulent de l’argent pour être photographiées, j’ai toujours refusé par principe toutefois, je trouve normal qu’il y ait un échange et propose comme chaque fois de leur envoyer les photos (ce qui en général les ravit). Mais ici, il n’y a aucune chance que la poste passe ; elles le savent. C’est le début de la fin. Beaucoup de gens, par ignorance, payent des sommes disproportionnées.

Toutou, le garçon gérant du guest house, qui nous accompagne nous dit qu’un Américain, il y a quelques jours, a payé deux dollars par photo. Elles n’en gagnent pas cinq par semaine en travaillant dur dans les champs. Les touristes sont encore peu nombreux mais bientôt, elles seront complètement déstabilisées à cause de l’argent facile et enviées des autres. Les mères mettront des spirales à leurs petites filles et ce ne sera pas par souci de la tradition.

Quoi qu’il en soit, nous avons bien ri avec elles. C’est toujours la même chose, il faut établir un contact pour dépasser cet horrible « Hello, clic-clac, dollar, bye bye » et puis on n’est pas au zoo. Après avoir un peu discuté avec une gentille grand-mère, je lui montre mon appareil photo ; concentrée, la main sur un œil, elle regarde ses petits enfants perchés sur une barrière à quelques mètres de là. Lorsque j’actionne le zoom, croyant que ceux-ci se jettent sur elle, elle recule brusquement en agitant les bras devant l’objectif comme pour se protéger.

J’avais lu que le poids des anneaux pouvait atteindre une vingtaine de kilos et rabaissait les clavicules, ce qui donnait seulement l’illusion d’un long cou. Mais le lendemain, sur les bords de la rivière, nous vîmes deux femmes assises sur un rocher. Ma première impression fut que quelque chose de noble se dégageait de leur personne. En regardant mieux, je vis qu’elles s’étaient débarrassées de leurs anneaux pour les frotter dans la rivière avec des herbes. C’est leur long cou blanc qui donnait cette impression de noblesse. Ce n’est pas la première fois, en voyant certaines peuplades reculées et hors du temps, que j’ai le sentiment d’être un témoin de l’histoire. ”

Extrait du livre “Et si c’était mieux là-bas”

Il existe plusieurs légendes concernant l’origine de ces colliers. Tout d’abord, ils sont l’identité culturelle de cette ethnie et embellit ces femmes. Elles auraient commencé à les porter depuis des générations dans le but de se protéger des morsures des tigres. On dit aussi que ces colliers leur donnent une ressemblance avec un dragon, figure importante du folklore Kayah. En effet, les deux fils qui sortent du collier représenteraient les moustaches du dragon.

Retrouvez tous mes voyages dans mon livre « Et si c’était mieux là-bas ».

06Sep/17
Laos paysage

Histoire secrète du Laos

Le Laos est un pays magnifique, les habitants d’une douceur et d’une gentillesse sans pareil en Asie, mais peu connaissent son histoire tant il est vrai qu’on la surnomme « l’histoire secrète » ; d’une part car elle avait de bonnes raisons de l’être, d’autre part car elle reste encore aujourd’hui très embarrassante. En voici les grandes lignes (extraites de mon livre):

En 1962, alors qu’une occupation communiste se dessinait au Laos, Kennedy émit l’idée d’une intervention. Une conférence internationale se tint à Genève et les pays participants signèrent un accord selon 

lequel le Laos resterait neutre. Pourtant jamais pays n’aura autant mérité le surnom « d’échiquier » : au plus grand mépris de l’accord signé, les Etats-Unis, le Nord Vietnam et la Chine posèrent, déplacèrent et y firent sauter leurs pions. Comme toute présence militaire y était interdite, la CIA -dans la plus importante opération paramilitaire jamais entreprise- entraîna et équipa une armée clandestine constituée d’ethnies des montagnes, principalement Hmongs.

         Supportée par des officiers de l’armée de l’air qui opéraient sous couverture civile, la CIA créa « Air America » une compagnie aérienne « civile ». De 1964 à 1973, il y eut au Laos l’un des plus gros trafics aériens au monde. Plus de cinq cent quatre-vingt mille vols meurtriers furent effectués : un bombardement toutes les huit minutes pendant neuf ans dans le plus grand secret.

Sur le chemin du retour, les avions revenaient les soutes pleines d’opium. Avec l’accord plus ou moins tacite de la CIA…

        

Pointe d’une “Daisy cutter”

Aujourd’hui encore, dix personnes meurent tous les mois au Laos victimes des bombes et mines restées sur place. D’autres sont horriblement blessées par ces mêmes mines ou par les Daisy-Cutters. Ce sont des bombes pas plus grosses qu’une balle de tennis qui envoient 250 pointes métalliques dans toutes les directions.

         La guerre prenait fin au Vietnam mais elle faisait rage au Laos. Les Américains, avec l’énergie du désespoir, déversaient sur le Laos, bombes, mines et agents oranges. Il y eut plus de bombes larguées sur le Laos que durant toute la Seconde Guerre mondiale. Comme le Laos devait, rester neutre, les bombardements sur ce pays n’étaient jamais mentionnés par les porte-parole de l’armée US. L’opinion internationale, attentive à ce qui se passait au Vietnam n’a pour ainsi dire jamais été informée de ce qui se déroulait dans l’ancien pays au « million d’éléphants ».

En 1995, je sympathisai avec Vilaphon, un adolescent originaire du

Ancienne bombe transformée en pot de fleur

centre du pays. Dès l’âge de huit ans, il commença à fouiller la terre avec ses mains. Il souhaitait pour récupérer les UXO (unexploded objects), bombes n’ayant pas explosé pour les revendre au prix du métal. À 14 ans, il parlait déjà anglais et français. Il faisait travailler une dizaine de gamins de huit à dix ans qu’il payait pour creuser à sa place. Des charrettes tirées par des bœufs emportèrent les bombes encore terreuses. Puis, des négociants chinois de la capitale les récupèrent. Un gamin génial… je suis sûr qu’il est très riche aujourd’hui !

Cet article est extrait de mon livre. L’histoire vous à plu ou intéressée ? Retrouvez-la, et bien d’autre dans “Et si c’était mieux là-bas” sur mon site : www.conseils-de-voyages.com

19Juin/17

Sulawesi : voyage au cœur de l’archipel indonésien

sulawesi-indonésie-cultureJuin 1989, port de Surabaya. C’est d’ici que Sandrine et moi voulons embarquer pour Sulawesi. Dans le bureau de la Pelni -compagnie maritime indonésienne- un ventilateur trop lent brasse un air moite, un préposé tire paresseusement sur sa cigarette au clou de girofle. Ses chaussures sont posées à côté de son bureau, il relève sa casquette et me déclare qu’il est impossible d’avoir des tickets de bateau pour ce soir. J’engage la conversation sur autre chose, puis lui dis que j’ai conscience des frais qu’engendre la bureaucratie, que c’est toujours en haut que ça traîne… je dépose cinq billets, « si cela pouvait aider… ».

Une minute par billet plus tard, je reçois nos tickets.
Le voyage d’une trentaine d’heures est agréable, on croise des îles magnifiques, quelques dauphins nous accompagnent, des raies Manta sortent majestueusement de l’eau, volent quelques mètres et plongent.
paysage vert entre montagne et forêt en indonésieArrivés à Unjung Pandang, nous prenons un bus pour Senkang, la région des Buggis, des marins musulmans réputés pour leur habileté. En fin d’après midi, un bateau long de dix mètres et étroit d’une cinquantaine de centimètres nous emmène sur le lac Tempe passer la nuit chez une famille de pêcheurs. De grands oiseaux colorés et de splendides échassiers s’envolent à notre passage. Une quinzaine de maisons en bambou flottent au milieu du lac. Les habitants sont accueillants et sympathiques, on partage un thé et des beignets. Le coucher de soleil est somptueux, il règne ici un calme irréel, une petite brise nous préserve des moustiques et la nuit est agréable. Nous nous levons tôt, comme nos hôtes, eux pour travailler, nous pour admirer le lever du soleil.

Il faut encore huit heures de voyage dans un bus encore plus déglingué que la route pour rejoindre le centre de l’île. Les paysages sont d’une beauté à couper le souffle, les rizières déclinent tous les tons de vert et au loin les montagnes recouvertes de jungle laissent apparaître leurs falaises d’où jailli parfois une cascade.
culture en terrasse indonésieRantepao est une petite ville agréable, partout des arbres en fleurs ; certaines, semblables à d’énorme cloches blanches d’une trentaine de centimètres, d’autres, rouges sang ont la taille d’un petit ballon.
Dans notre Losmen, nous rencontrons Claire, une Anglaise de 28 ans qui voyage depuis trois ans. Elle a travaillé comme dentiste et professeur à l’université de Phnom Penh et de Saïgon, a fait le tour de Nouvelle Zélande en vélo… Son humour est irrésistible, comme beaucoup de voyageurs, elle est peu conformiste et comme tous les Anglais elle aime la confiture à l’orange mais pas qu’on rigole avec la Reine.
Il pleut souvent à Sulawesi, ce qui explique l’exubérance de la nature. Parfois, au milieu des rizières s’élève une colline comme une île avec quelques maisons entourées de bambous géants, de bananiers et de cocotiers.
Les maisons torajas sont montées sur pilotis, les murs en bois sont sculptés et colorés. Ce qui les distingue, c’est leur toiture en forme de corne de buffle dont les extrémités peuvent s’élever jusqu’à quinze mètres. Les milliers de bambous entrecroisés qui la compose leur assurant une étanchéité parfaite. Ces toits seront petit à petit remplacés par de la tôle ondulée, plus facile à monter.
habitations au bord de la forêt en Indonésie - SulawesiOn retrouve partout les mêmes couleurs et les mêmes symboles sculptés sur les murs : le cercle représente la terre, le triangle le soleil, le coq relie l’homme l’un à l’autre. On retrouve aussi le Katik, l’oiseau magique et le buffle. Un gros pilier soutient l’avant du toit devant la maison, les cornes de buffles accrochées l’une au-dessus de l’autre, témoignent de l’importance de la famille.
Les villages comptent rarement plus de trois cents habitants et sont organisés en seigneuries. Les buffles sont l’objet de toutes les attentions, c’est le seul endroit d’Asie où ils se prélassent dans la boue quand les paysans travaillent.
Pour les Torajas, la mort fait partie de la vie : ils travaillent leur vie durant en vue de posséder suffisamment de buffles qui seront sacrifiés à leur mort. Ils prendront alors place parmi leurs ancêtres et protégeront leurs descendants.
Les Torajas ont été convertis au protestantisme par les pasteurs hollandais mais les traditions animistes restent profondément ancrées.
bâtiment ancien en indonésieNous arrivons dans une vallée couverte de rizières et bordée de hautes falaises où sont placées des Tau-tau, petites effigies sculptées pour les castes supérieures et placées dans des niches creusées dans la falaise. Ainsi l’esprit des ancêtres continue à veiller sur le village.
Je reviendrai souvent à Rantépao. Quelques années plus tard, des échoppes à touristes auront poussé comme des champignons et les statuettes auront toutes été volées pour décorer les maisons de riches occidentaux. Elles furent remplacées par des copies, mais ces vols causèrent beaucoup d’émotion dans leur communauté, Anton, un ami torajas m’a confié que ce fut comme si on lui avait enlevé son père une seconde fois ; c’est difficile à comprendre pour nous car leur conception de la vie et de la mort diffère totalement de la nôtre.
Des funérailles torajas sont la partie la plus spectaculaire de leur culture. Nous arrivons dans le village où va se tenir un sacrifice. Je m’approche des maisons et très vite on m’invite à entrer. Ils sont accueillants et curieux. En buvant le thé, j’apprends que la personne dont on célèbre les funérailles est décédée il y a plus de sept ans !
habitants locaux indonésie habitationsDurant ces années, la famille a travaillé dur pour récolter l’argent nécessaire. La dame a été momifiée grâce à des injections régulières de formol. Cette pratique devient rare, je la rencontrerai encore une fois au cours de mes voyages : la défunte parée de beaux habits et de ses bijoux trône dans un coin de la pièce. Ils reconnaissent que cela ne sent pas très bon mais il importe de lui offrir de belles funérailles. Certains vendent des terres, se ruinent pour acheter des buffles car plus il y en a, mieux l’esprit sera conduit vers l’au-delà. En 1994, le gouvernement imposera des quotas sur le nombre de buffles à sacrifier. Pour l’heure, il y en a soixante trois dont deux albinos, les plus chers. Après le sacrifice, la viande est répartie entre les convives : celui qui apporte un cochon recevra l’équivalent en viande ce qui entraîne toujours d’âpres négociations.
vache indonésie sulawesiAprès un rapide calcul, le prix de soixante buffles plus les taxes s’élève à plus de quarante mille dollars !
Quelques jours plus tard, nous nous installons à Batutumonga, un petit paradis ; dans une maison en bambou au pied des montagnes, dans la jungle. Mama Siska, nous accueille à bras ouverts. L’ambiance familiale est douce et agréable. Siska, la fille de la maison, est attentionnée et veille à ce que nous ne manquions de rien. Nous mangeons une excellente soupe au lait de coco, potiron et citronnelle, assis en tailleur à la lueur d’une lampe à pétrole. Le repas terminé, nous traînons encore un peu avec un bouquin. Siska débarrasse, s’installe à une table basse, puis règle la lampe et fait ses devoirs. Je m’en étonne, elle me dit avoir quatorze ans et vouloir devenir médecin mais l’école coûte cher et elle n’est pas sûre de pouvoir poursuivre ses études l’an prochain. C’est malheureux de voir cette fille adorable, intelligente et travailleuse qui devra peut-être arrêter l’école faute d’argent. Je pense à ma propre scolarité : tout m’était donné, une excellente qualité d’enseignement, des parents désireux de m’aider et pourtant, je n’écoutais pas, parlais avec mes copains, séchais des cours… Je vais voir si je peux l’aider, mais trouver un sponsor n’est pas aussi simple que je l’avais pensé. Lorsque j’ai commencé à m’occuper d’enfants tibétains, mis à part ma famille et quelques amis proches, les gens se sentent peu concernés, ils ne réalisent pas que pour le prix d’un cinéma par mois, un enfant peut aller à l’école et s’en sortir… aussi, je ne dis rien, je ne veux pas donner de faux espoirs et ne souhaite pas non plus que nos relations avec cette famille se transforment.
Comme partout en Asie, toute la famille vit sous le même toit ; la maman de mama Siska, Nenek(1) dégage une certaine noblesse ; elle déborde de joie de vivre. On se fait chouchouter, elle me dit que je suis beau et qu’elle me voudrait pour petit-fils. Les journées passent paisiblement.
verdure sol indonésie flaqueLe matin, Nenek et Mama Siska râpent des noix de coco ; moi, je me douche, l’eau détournée de la rivière est guidée dans une petite cabane par un réseau de bambous. Nous partons dans la montagne qui se trouve derrière la maison ; il paraît que du sommet on voit la mer.
Après 3 heures de marche dans la jungle, on débouche sur un petit promontoire herbeux d’où on domine la vallée. Il y a des papillons énormes aux couleurs magnifiques et de petits lézards volants. Sandrine, Claire et moi nous arrêtons pour manger et nous reposer. Rapidement on se perd dans la jungle, la végétation est trop dense, il nous faudrait une machette. Nous décidons de rebrousser chemin, épuisés, griffés et trempés de sueur. Nous débouchons sur une maison où je demande un peu d’eau, la dame nous apporte aussi quelques rambutan(2)… ça fait du bien. C’est sous une pluie torrentielle, juste protégé par une feuille de bananier que nous arriverons enfin.
Demain nous partons ; le soir Mama Siska nous a prépare la spécialité locale, le Pa’piong : du poulet assaisonné au lait de coco et à la citronnelle, mijoté dans un tube de bambou placé sur des braises. Les épices savamment dosées lui donne une saveur exceptionnelle.
J’aime prendre un thé sur la terrasse, les brumes se dissipent sur les rizières au fond de la vallée, le jour se lever doucement. Nous quittons Mama Siska et sa famille. Elles nous serrent dans leurs bras (c’est inhabituel en Asie). Nenek m’offre un beau sarong et me redit qu’elle me voudrait pour petit-fils. Nous rentrons à pied à Rantepao par la forêt, les rizières et les bambouseraies. En chemin, nous croisons des tombes de bébés mort-nés, creusées dans le tronc d’un arbre et fermées par une petite porte en bois. L’idée animiste est que l’esprit de l’enfant continue à grandir avec celui de l’arbre. Une belle idée.

***

bâtiment sulawesi villeQuelques années plus tard, en 2001, j’assistai aux funérailles de Nenek, j’étais déjà revenu à plusieurs reprises, j’aidais Siska à aller à l’école et amenais régulièrement des groupes de touristes à sa maman. Des dizaines de buffles furent sacrifiés, le sol est déjà gorgé de sang. Je suis assis à côté de Mama Siska et regarde l’égorgeur : petit, sec et noueux. Il tient le buffle par une corde attachée à un anneau nasal, il lève lentement le bras, la gorge du buffle est offerte. Il émane de ce petit homme une puissance extraordinaire face à cette montagne de muscles qui pourrait l’embrocher d’un mouvement de tête et foncer sans que personne ne puisse l’arrêter. Ils se regardent, d’un geste rapide et précis il lui tranche la gorge avec son coupe-coupe. Le buffle s’effondre.
Mama Siska me regarde.
– Tiens Lionel, prends la machette et tue le suivant.
Je sais que c’est un honneur, une centaine de personnes sont présentes ; il y a l’excitation, le danger, le fait de contrôler ce monstre… Une partie de moi est tentée d’accepter mais le côté humain prend le dessus sur le côté bestial. Je décline l’invitation.
– Un cochon alors ? Regarde les gros qui arrivent là-bas, ils sont attachés, tu n’as qu’à lui planter le couteau dans le cœur.
Elle ne comprendrait pas que je refuse encore.
– Maaf, ibu saya tidak bisa. Saya ingin sekali menghormati nenek, tapi agama saya tidak mengizinkan untuk membunuh binatang(1). Ça, elle comprend et n’insiste pas.

Exécution de buffles en indonésieLe petit homme et quelques autres se relayèrent tout l’après-midi, les enfants se précipitent à chaque fois plantant de gros bambous taillés en biseau dans la gorge béante afin de recueillir le sang, et pataugent dedans. Du haut d’une tour en bambou, deux prêtres sonnent le gong chaque fois qu’un buffle est égorgé. L’âme du mort s’envole sur son dos.
J’aidai à porter le cercueil ; Nenek fut placée dans une cavité creusée dans un énorme rocher et refermée par une belle porte en bois sculpté.
Vous avez aimé ce récit, vous aimerez certainement mon livre, commandez-le sur : www.conseils-de-voyages.com