Il y a quelques temps, j’ai rencontré Mike, lors d’un voyage au Cambodge. Nous avions assistés émerveillés à un ballet khmer ; les jeunes filles, vêtues comme des Apsaras, donnèrent une représentation exceptionnelle, ces danses sont aussi compliquées que codifiées. Il ne reste qu’une seule danseuse du Ballet Royal, une vielle dame –seule survivante de sa génération- qui enseigne son art aux jeunes filles pour qu’il ne disparaisse pas à tout jamais. Elles ont des gestes d’une grâce sans pareille, avec ces mouvements qui serpentent d’une main à l’autre, ces postures si gracieuses et si extrême-orientales.
Toutes les anecdotes vécues au Cambodge sont dans le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”
Mike est australien, ancien officier de la légion étrangère, tombé amoureux du pays en 1992 alors qu’il était envoyé comme casque bleu pour sécuriser les élections. Aujourd’hui, il vend des peintures sur soie dans une échoppe et aide les démineurs. Il est installé avec Sopheap, sa femme, et Rupert, son python que je verrai grandir au fil de mes passages. En moins d’un an, je parviendrai à peine à le porter tant il était devenu lourd.
Un jour, il me parla des élections. Il faut savoir que Mike est un type au physique impressionnant : larges épaules, cou de taureau, des bras aux muscles noueux, tatoués de l’épaule au poignet. Mais le plus impressionnant reste ses yeux bleus perçants qui distillent tant un calme froid qu’une indicible force. Sergent à l’époque, il alla voir le commandant khmer rouge, « comme ça, pour mettre les choses au point, tu comprends ? », posant les poings écartés sur la table, il le regarda dans les yeux en détachant chaque syllabe.
– Une chose doit être claire : si un seul de mes hommes est blessé, de quelque manière que ce soit, au cours de vos petites attaques de merde, on enlève nos casques bleus, on remet nos képis et on vous tue tous.
Le Khmer rouge, qui n’était pas exactement un enfant de chœur, resta impassible mais on remarqua au cours des nombreuses attaques qu’ils firent tout au long des élections, qu’aucune ne fut jamais dirigée contre les légionnaires qui se prélassaient tranquillement dans leurs hamacs.
Il a tout compris de sa mission de casque bleu, quelques mots doux judicieusement placés valent mieux qu’une balle.
Mike garde dans son échoppe, un échantillon de chaque mine que l’on trouve ici ; il les maudit et veut montrer aux gens de passage à quel point ces armes sont destructrices. Quand il en parle, ses yeux s’enflamment, il s’emporte souvent contre ces fabricants de mort.
Le Cambodge comme si vous y étiez ! Découvrez ce pays dans le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”

mine antipersonnelle au Cambodge
– Si le diable avait voulu faire du commerce, dit-il, c’est ça qu’il aurait choisi. Ces saletés ont été posées lors des différentes guerres, regarde, ça ce sont des « 72a et b », une mine chinoise posée par les Khmers rouges, ça c’est une « PM N2 », une mine soviétique posée plus tard par les Vietnamiens…

mine antipersonnelle au Cambodge
On la trouve couramment en Afghanistan ; peu de métal donc difficile à détecter, une pression de vingt kilos suffit à les faire exploser. Il y a aussi les mines « POMZ-2 » à fragmentation ou encore les mines bondissantes. Ce sont les modèles les plus répandus. Et puis il y a toujours les « UXO »(1) ces bombes et obus qui n’ont jamais explosé mais causent toujours un grand nombre d’accidents mortels tous les ans.
Le Cambodge est avec l’Afghanistan le pays le plus miné au monde. A l’origine, on utilise les mines pour se garder de ses ennemis et lorsqu’on mine un terrain, on fait un plan précis de leurs emplacements pour pouvoir y circuler et les récupérer le cas échéant. Au Cambodge, ils ne faisaient pas de plans. Les mines étaient le plus souvent abandonnées sur place… De toute manière, avec les pluies de la mousson, elles se déplacent et un plan serait vite obsolète. Plusieurs millions de mines furent placées au Cambodge. Une mine coûte entre 3$ et 128$, quand le déminage – à cause de la main d’œuvre, la logistique et le matériel qu’il nécessite – coûte de 30$ à 1000$ par mine. Reste un autre problème difficile à chiffrer mais tragique sur le plan économique : la non exploitation agricole des zones minées ou supposées telles. C’est un terrible facteur d’appauvrissement pour les paysans.
Les souvenirs de voyages au Cambodge de Lionel Cieciura sont dans le livre “Et si c’était mieux là-bas ?”
Mike m’explique qu’il y a deux façons de neutraliser une mine : on la localise au détecteur et on la fait sauter avec un bâton de dynamite ; c’est lent mais les risques sont réduits. L’autre méthode, la française, consiste à la situer au détecteur puis à la déterrer en plaçant une épingle dans la goupille (même principe qu’une grenade). On les met en tas puis on les fait sauter ; plus rapide mais plus risqué.
– “Les paysans s’en servent pour protéger leurs récoltes des voleurs, pour pêcher même… c’est un vrai fléau. J’ai beau en avoir désamorcé des centaines, la poussée d’adrénaline est toujours la même : la peur me noue l’estomac. Mais chaque fois que j’en neutralise une (ses yeux brillent), tu ne peux t’imaginer ce que je ressens : je me dis que je viens de sauver une vie.”
Sopheap, sa femme est infirmière pour une ONG ; lors d’un repas, elle m’explique qu’une personne sur deux ne survit pas à l’explosion d’une mine ; soit la victime a moins de douze ans et sa petite taille ne résiste pas à la déflagration, soit elle n’a pas l’argent pour se rendre à l’hôpital, soit encore, ce dernier, faute de personnel ou de médicaments ne peut dispenser les soins nécessaires. Il arrive souvent qu’une victime meure sur place des suites de ses blessures car personne n’ose aller la chercher de peur de sauter aussi.
Une prothèse coûte au minimum quarante dollars auxquels s’ajoutent dix heures de rééducation avec un spécialiste ; le moignon étant très sensible, la partie sur laquelle il repose doit être remodelée plusieurs fois ; une vingtaine de fois au cours de la croissance. Un adulte, lui en change environ quatre fois.

mines anti personnelles au Cambodge