Récit de voyage à Pokhara au Népal
Extrait du livre “Et si c’était mieux là-bas?”
“Arrivé à Pokhara, les rabatteurs me sautent dessus. Je les plante là et monte dans un taxi. Après trois semaines en montagne, il me faut du temps pour me réadapter à la civilisation… je me réhabitue plus vite à la douche chaude et au « luxe » des chambres. J’ai pris un hôtel confortable avec vue sur le lac. Dans la salle de bains, je découvre mon visage dans la glace pour la première fois depuis un mois ; ma peau est tannée par le soleil, mes traits se sont durcis, j’ai maigri.
Je m’occupe ensuite de l’extension de mon visa. J’arrive au bureau de l’immigration, une petite pièce grise et sale, un ventilateur au plafond brasse un air moite. Un fonctionnaire au visage vérolé et au regard rusé derrière ses grosses lunettes me reçoit. Il m’écoute, tirant sur sa cigarette qui dépasse de son poing serré (c’est ainsi que fument les Népalais). Je devais être sorti du pays depuis deux jours et je sens que ça ne va pas être facile. Il examine longuement mon passeport et pour me mettre en condition me dit que ma situation est très très délicate. Je lui invente une histoire d’accident en montagne où j’ai dû redescendre à dos de Sherpa (je suis entré avec un bâton en boitant).
– Haaa je vois, je vois, mais les lois au Népal en matière d’immigration sont très strictes. Il m’énerve. Venons-en au fait, ces lois strictes ne sont qu’une stricte question d’argent.
– Bon, qu’est-ce qu’on peut faire pour m’éviter la peine de mort, cher ami ? (j’apprendrai plus tard, à mes dépens -en Indonésie notamment- qu’il vaut mieux ne pas trop faire le malin avec les agents de l’immigration, ils sont souvent bien renseignés et comptent parmi les plus corrompus. Ils ont un vrai pouvoir sur nous). Il essuie une fois de plus la sueur sur son front, se lève et va fermer le store crasseux.
– Je pourrais bien arranger votre situation mais ça ne va pas être simple, cela coûtera au moins cent cinquante dollars.
– Ecoutez, là je rentre en Europe, je me suis fait voler mon argent, je n’ai plus rien, le maximum que je puisse vous offrir est dix dollars.
– Impossible.
– Dans ce cas, tant pis, je pars à Katmandou et verrai au bureau de l’immigration là-bas. Sentant qu’un autre corrompu palpera à sa place, il reprend la négociation. Après vingt minutes de dur marchandage portant sur le montant et la durée de l’extension, je laisserai 25 $ à ce charmant monsieur qui les empoche avant d’aller rouvrir le store. Je quitte son bureau la démarche légère.
-Eh! vous oubliez votre bâton.”