Nous reprenons notre périple à partir de Saint Chély d’Aubrac, là où nous l’avions laissé la dernière fois. L’étape jusqu’au joli village de Saint Côme d’Olt n’est pas bien longue, 4h de marche tout au plus.
Les paysages sont beaux mais après l’été caniculaire, tout est brûlé… ça contraste tellement avec la verdoyance du mois de mai !

Nous marchons beaucoup sur des routes goudronnées. Je préfère bien sûr la pleine nature et les chemins sauvages mais pour l’instant, nous alternons avec des champs ou des bois… Trop marcher en forêt devient lassant. Heureusement, de fréquentes percées nous permettent d’apprécier les beaux paysages alentours doucement vallonnés.
Nous faisons halte à Estaing. Le village d’où est originaire la famille de Valéry Giscard d’Estaing. C’est intéressant de voir que le château, racheté en 2005 par le Président (avec les diamants de Bokassa ? 😇), a été plusieurs fois confisqué puis restitué à sa famille. De plus, nombre de ses membres qui y demeurèrent et eurent une influence sur le pays d’un point de vue politique, religieux ou militaire…
Ce village est d’une grande beauté !

Le soir au restaurant, je me dis que cette marche est agréable et confortable pour moi qui suis habitué aux rustiques bivouacs perdus en montagne, où je me douche dans les torrents glacés, je prends mes repas avec des sachets lyophilisés ou quelques fruits secs et ma chambre est une tente, un hamac ou la belle étoile. Ici, nous faisons transporter nos sacs, nous logeons dans de beaux gîtes et apprécions les délicieuses spécialités locales… Ce n’est pas désagréable.
54 ans serait-il l’âge de l’embourgeoisement ?
Isa et moi n’avons pas le même rythme. Sur le plat, si elle décide de démarrer, elle me laisse sur place. Par contre dans les montées, elle ne me suit pas. Elle n’aime pas trop s’arrêter, moi par contre… Malgré tout, nous nous attendons, marchons côte à côte, parfois main dans la main. Une fois un pèlerin nous dit « c’est chouette de vous voir marcher main dans la main, vous êtes trop mignons »… A 54 ans, j’aime bien qu’on me dise que je suis mignon !

Arrivée à Conques après 6h de marche assez soutenue, souvent sur des routes où j’alterne mes nouvelles chaussures de randonnée avec des chaussures de footing car aucune chaussure de randonnée n’est vraiment adaptée à l’asphalte. La plante des pieds chauffe, les chocs se ressentent plus durement et à la fin de la semaine, nous ressentons des douleurs articulaires et tendineuses comme jamais auparavant. Je marche avec une genouillère car mon genou se rappelle à mon bon souvenir alors qu’il me laissait tranquille depuis des années.
La plus jolie ville que j’ai vue jusqu’à présent est Luang Prabang au Laos (j’y avais séjourné quelques temps en 1995). Mais bien que la comparaison soit difficile, je dois dire que Conques est un bijou dans son écrin !
J’ai l’impression d’être au Moyen-Âge. Les maisons sont parfaitement conservées. Au coin de chaque petite ruelle, on s’attend à voir surgir un chevalier ou des gueux en guenilles. Tous les toits sont en lauze, parfaitement entretenus. C’est aussi à cela peut-être qu’on mesure le développement d’un pays. Il y a quelques mois nous étions au Maroc, à Fès. La ville et surtout ses riads sont d’une beauté incomparable et c’est un crève-cœur de les voir se délabrer, se désagréger et tomber en ruine sous le poids des ans et de l’inaction des hommes.

J’apprécie aussi les commerces de Conques. On trouve un magasin d’articles en cuir réalisés par un artisan local, les couteaux présentés dans la coutellerie sont forgés dans le village, etc… On ne tombe pas comme dans la plupart des petites villes touristiques sur des dizaines de boutiques vendant les mêmes bricoles de l’artisanat indonésien ou chinois… du cheap pour attrape-nigauds. Je crache un peu dans la soupe vu que j’en ai importé par containers entiers, mais ça, c’était dans une autre vie.
Nous dormons dans l’accueil des pèlerins de l’abbaye Sainte-Foy.
Le soir, un moine explique à l’assemblée la signification des sculptures ornant le fronton de l’abbaye. Impossible de les décrypter à moins d’être un médiéviste averti. Il le fait avec simplicité et humour, nous plonge dans le Moyen-Âge, contextualise l’époque et les hommes.
J’aurais aimé passer plus de temps ici et échanger avec lui sur sa vie, sa vision du monde, la religion, moi qui suis athée.

En repartant, nous nous interrogeons sur les pèlerins au Moyen-Âge. Pas de beaux sacs à dos ni de bonnes chaussures, pas de bons restaurants le soir, ni d’hôtels confortables. Pas d’argent, difficile de faire confiance aux gens vu le nombre de faux pèlerins détrousseurs et bandits de grands chemins… Manger, se loger, tout était compliqué.
Ils méritaient leur coquillage !
Appréciaient-ils le paysage comme nous l’apprécions ? Pas sûr, le rapport à la nature n’était sans doute pas le même et quant aux villages que nous traversons, je doute qu’ils étaient aussi fleuris et proprets à l’époque. Et une fois arrivé, la mer… j’ai du mal à imaginer le choc que cela pouvait représenter de voir cette étendue d’eau infinie après des mois de souffrance et d’efforts.
Une anecdote m’est revenue. Dans les années 90, j’encadrais des jeunes dans les montagnes en Corse. Un de nos amis guide nous racontait que sa grand-mère était décédée sans avoir jamais vu la mer. Elle n’était pour ainsi dire jamais sortie de son petit village non loin de Corte…

J’ai entendu plusieurs fois des gens parler de « l’énergie du Chemin ». « Si tu veux quelque chose, il suffit de te connecter au Chemin, à l’univers, et tu obtiens ce que tu désires » … Quand j’entends cela, j’ai l’impression de me retrouver en Inde. Il n’y a que là que j’ai pu entendu ce genre de délire.
J’ai demandé au chemin de gagner au loto, ça n’a pas marché. Surprenant !
Nous continuons notre route, cueillant parfois une pomme ou une grappe de raisins sucrée et rafraichissante.
20 à 25 km par jour surtout sur des routes goudronnées, ça tire partout, les genoux, les pieds, les tendons, le dos mais après trois jours, même si on se lève un peu rouillé, tout rentre dans l’ordre après quelques pas et le désir d’avancer est de plus en plus fort. La magie du chemin ? 😇
Dans la randonnée comme dans bien d’autres sports, le physique a son rôle à jouer, mais rarement plus de 30%, les 70% restant, c’est le mental.

Nous arrivons à Figeac, notre étape finale pour cette fois. Nous savions que nous n’aurions pas le temps de la visiter car notre train n’attendra pas.
Il y a quelques semaines, nous avions donc pris soin d’y passer un weekend de trois jours en amoureux… Magnifique petite ville.
Cette portion fut moins intéressante en termes de nature car nous avons beaucoup marché sur les routes. Même si celles-ci restent peu fréquentées, ça reste de l’asphalte et ce n’est pas agréable. Mais cet inconvénient fut compensé par la beauté sans pareil des villages. En 6 jours nous avons traversé 4 des villages répertoriés comme « plus beaux villages de France ».