Torajas

Les Torajas : une cohabitation avec leurs morts

À la Rencontre des Torajas en Indonésie

Retirés dans les montagnes de l’île de Sulawesi en Indonésie, les Torajas, un groupe ethnique indigène pratique un étonnant rite funéraire. La mort ne les effraie pas. En attendant que les funérailles soient organisées, les familles gardent le cœur de leur défunt chez eux et s’occupe de lui comme s’il était un simple malade. Et c’est lors de mon voyage que j’ai pu assister à des funérailles spectaculaires.

Extrait du livre « Et si c’était mieux là-bas » ? de Lionel Cieciura

Torajas« Il faut encore huit heures de voyage éreintant en bus déglingué pour rejoindre Rantepao au centre de l’île. Nous sommes en pays toraja, l’autre ethnie importante de l’île. Les paysages sont d’une beauté à couper le souffle : des rizières alentours déclinent tous les tons de vert et au loin les montagnes recouvertes de jungle laissent apparaître leurs falaises.

Rantepao est une petite ville agréable ; partout il y a des arbres en fleurs, certaines sont rouges et grosses comme de petits ballons, d’autres, de longues cloches blanches, mesurent une trentaine de centimètres. Nous rencontrons Claire dans notre Losmen (petit hôtel bon marché), une Anglaise sympa qui se joint à nous. Elle est dentiste, à 28 ans et a quitté l’Angleterre il y a trois ans. Elle a travaillé comme dentiste et professeur à l’université au Cambodge, au Vietnam et en Nouvelle Zélande. Comme la plupart des filles qui voyagent seules, elle a un caractère bien trempé, elle possède aussi cet irrésistible humour british.

Il pleut souvent à Sulawesi, ce qui explique cette exubérance de la nature ici. Nous louons une voiture et visitons les alentours. Les rizières ont une particularité ici, un trou y a été aménagé afin de piéger les anguilles. Parfois, au milieu de la rizière s’élève une colline avec quelques maisons entourées de bambous géants, de bananiers et de cocotiers.

Les maisons torajas sont montées sur pilotis et font face à un grenier à riz qui est Torajasleur réplique en plus petit. Les murs en bois sont sculptés et peints. Ce qui les distingue, c’est la toiture en forme de corne de buffle dont les extrémités peuvent s’élever à une quinzaine de mètres. Elle est construite à l’aide de milliers de bambous entrecroisés qui lui assurent une étanchéité parfaite.

J’apprendrai, en les examinant de plus près, que l’on retrouve partout les mêmes symboles et les mêmes couleurs sculptés sur les murs : le cercle représente la terre, le triangle le soleil, le coq relie l’homme à l’un et à l’autre. On retrouve aussi le Katik, oiseau magique, et toujours le buffle. Un gros pilier soutient l’avant du toit devant la maison. Parfois, des dizaines de cornes de buffles y sont accrochées l’une au-dessus de l’autre, elles témoignent de l’importance de la famille.

Les villages comptent rarement plus de trois cents habitants, ils sont organisés en seigneuries dominées par les familles nobles. Les buffles sont l’objet de toutes les attentions ; c’est le seul endroit d’Asie où ils se prélassent dans la boue quand les paysans travaillent. Pour les Torajas, la mort fait partie de la vie : ils travailleront toute leur vie afin de posséder suffisamment de buffles qu’ils sacrifieront à leur mort. Ils prendront ainsi place parmi leurs ancêtres et protégeront leurs descendants. Sans funérailles appropriées, l’âme du défunt pourrait causer des troubles à la famille.

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Les Torajas ont été convertis au protestantisme par les pasteurs hollandais mais les traditions animistes restent profondément ancrées.

TorajasNous arrivons dans une vallée couverte de rizières et bordée de hautes falaises où sont placées des Tau-tau, petites effigies sculptées pour les castes supérieures et placées dans des niches creusées dans la falaise. Ainsi l’esprit des ancêtres continue de veiller sur le village.

Je reviendrai souvent ici. Quelques années plus tard, les statuettes auront été volées pour décorer les maisons de riches occidentaux ; elles furent remplacées par des copies, mais ces vols causèrent beaucoup d’émotion dans leur communauté : un ami torajas m’a confié plus tard que c’était comme si on lui avait enlevé son père une seconde fois ; c’est difficile à comprendre pour nous car leur conception de la vie et de la mort est complètement différente de la nôtre.

Des funérailles torajas auront lieu demain, c’est la partie la plus spectaculaire de leur culture. Nous arrivons dans le village où va se tenir le sacrifice. Des gens vêtus de sarongs noirs et de tee-shirts blancs forment un cercle, se tiennent les mains et entament un chant lancinant ; il s’agit plutôt de sons car ils font des HAAAA, HOOOO, HAAAA en sautant légèrement sur leurs talons ce qui produit un effet étrange. Je me rapproche des maisons et très vite on m’invite à y entrer. Ils sont accueillants et curieux. En buvant le thé, j’apprends que la personne dont on célèbre les funérailles est une femme qui fut aimée et respectée. Elle est morte il y a sept ans.

TorajasDurant tout ce temps, la famille a travaillé dur pour organiser ces funérailles. La dame a été momifiée grâce à des injections régulières de formol et est restée dans la maison sur une chaise.

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Cette pratique devient rare, je la rencontrerai encore une fois au cours de mes voyages. La défunte parée de ses plus beaux habits traditionnels et de ses bijoux trône dans un coin de la pièce, ils disent bien que cela ne sent pas très bon mais il importe de lui offrir des funérailles dignes de ce nom. Certains vendent des terres, se ruinent même pour acheter des buffles car plus il y en a, mieux l’esprit de la personne sera conduit vers l’au-delà (c’est aussi une question de prestige). Le gouvernement finira par imposer des quotas sur le nombre de buffles à sacrifier. Pour l’heure, il y en a soixante dont deux albinos -les plus chers-. Après le sacrifice, la viande sera répartie entre les convives : celui qui apporte un cochon recevra l’équivalent en viande ce qui entraîne toujours d’âpres négociations. Le reste sera vendu.

Après un rapide calcul, le prix de soixante buffles plus les taxes s’élève à plus de quarante mille dollars ! Le village, créé pour l’événement, est constitué d’une quinzaine de maisons en bambous à deux étages, disposées en cercle. Plus tard dans la journée viennent les sacrifices. Cochons d’abord. On les amène suspendus à des bambous transportés à dos d’homme. Ils sont posés à terre, les uns à côté des autres et assistent impuissants au massacre de leurs congénères en voyant le long poignard se rapprocher un peu plus chaque fois, puis viendront les buffles.”

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La totalité des ventes du livre est reversé à un projet humanitaire soutenu depuis des années par mon association Kayumanis.