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30Juin/20
Cyclopousse Vietnam

Les camps de rééducation : Hanoï, Vietnam

1992, direction la grande ville du Nord : Hanoï. C’est dans cette ville que j’ai rencontré Van Loo, un professeur de français autrefois incarcéré dans un camps de rééducation pendant 10 ans. Il me raconte la vie carcérale…

Extrait du livre « Et si c’était mieux là-bas ? »

Vietnam Hanoï

« J’ai toujours aimé me balader en cyclopousse ; sa lenteur et le fait de ne pas être enfermé comme dans une voiture permet de prendre le temps de s’imprégner d’une ville. Mon guide a une barbichette à la Ho Chi Minh sous son chapeau Viêt-Cong. Comme d’habitude, il entame la conversation mais ce n’est pas pour se plaindre, comme souvent ; ses questions sont courtoises et posées dans un français parfait. Je lui demande où il a appris à si bien le parler. Il me dit être professeur à l’université de Hanoï mais comme son salaire ne lui permet pas de nourrir sa famille, il pédale l’après-midi. Je voudrais en savoir plus sur lui « vous savez, en France, lorsqu’on souhaite sympathiser avec quelqu’un, on l’invite au restaurant… je serais heureux de vous inviter ».

Il m’amène dans un petit restau au coin d’une rue. Nous discutons autour de brochettes de porc caramélisées et de rouleaux de printemps à tomber raide de bonheur. Ses traits sont réguliers mais son visage est marqué. Ses yeux surtout retiennent mon attention : doux et tristes mais empreints d’une dureté qui contraste bizarrement avec le personnage. Il est heureux de parler, monsieur Van Loo. Il a passé plus de dix ans dans un camp de rééducation, il me raconte l’horreur de la vie carcérale, du travail si dur que vous ne pouvez plus penser, des rations alimentaires qui vous maintiennent juste en vie, du sommeil insuffisant, de la peur constante, des mauvais traitements et des exécutions sommaires. Tout cela dans le but de vous conditionner.

– La rééducation n’avait pas de durée définie, impossible de savoir -comme le dernier des criminels- quand on pourrait sortir. Quand je suis arrivé, reprend-t-il, il y avait aussi quelques prisonniers américains. Le camp était perdu quelque part dans la jungle ; impossible de savoir où ; j’y suis arrivé comme j’en suis parti : les yeux bandés.

Il répond de bonne grâce à mes questions ; oui, il y a encore des camps de rééducation.

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– Y a-t-il encore des Américains dedans ? 

– On ne peut pas savoir ; il faudrait qu’ils aient survécu à toutes ces années, ça me paraît difficile mais pas impossible. Le pays semble se rouvrir, on parle même de reprise du dialogue américano-vietnamien ; cela veut dire que s’il y a des survivants, ils n’en ont plus pour longtemps. Jamais le gouvernement ne les laisserait raconter.

Il enroule un nem dans une feuille de salade et quelques feuilles de menthe avant de le tremper dans la sauce.

Vietnam camps rééducation– Le communisme est le pire des régimes, reprend-il en secouant la tête ; l’idéologie n’est pas mauvaise à la base : elle veut l’égalité et le bien de tous. J’y ai cru moi aussi, je voulais que mon pays soit libéré des Français. Mais je me suis vite rendu compte que vivre sous les communistes était pire. Je reconnais aujourd’hui que les Français nous ont aussi apporté de bonnes choses ; mais que nous ont apporté les communistes à part du malheur ?

Dans notre camp, il nous fallait écrire notre autobiographie, des dizaines de fois, le moindre changement, l’oubli du nom d’un membre de la famille ou une faute d’orthographe dans son nom était suspect et pouvait entraîner des punitions graves. J’ai eu la chance d’avoir reçu une bonne éducation. J’aurais pu mettre mon savoir au service de mon pays qui en avait besoin après la guerre, au lieu de cela, j’ai ânonné des stupidités dans un camp sordide. Les séances d’autocritique étaient quotidiennes, nous devions dénoncer nos fautes et, pire, celles de nos codétenus. Imaginez le climat détestable entre nous ; n’importe qui pouvait vous dénoncer pour quelques grains de riz en plus.

Je n’ai jamais su pourquoi j’avais été interné, j’ai été dénoncé mais par qui et pour quelle raison, je ne le saurai jamais. Connaissez-vous cette chanson de Michel Sardou qui parle de la Russie et qui dit « le temps s’est écoulé, il a passé pour rien » c’est exactement ce que je ressens, ils ont gâché ma vie, ils me l’ont volée ». 

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Il sait que les jours de ce régime sont comptés ; ses enfants qu’il n’a pas vu grandir connaîtront un meilleur sort. Quand il me raccompagne à l’hôtel, j’ai besoin de boire un coup avec mes copains, de parler de choses futiles.

Aujourd’hui c’est la fête du Têt : le nouvel an chinois. Le soir, tout le monde se retrouve autour du lac, il y a une île sur laquelle est construite une petite pagode où il est écrit en lettres lumineuses « Chuc Mung Nam Noï (heureuse année) ». Derrière cette enseigne, des canons tirent des feux d’artifices. Il y a des milliers de personnes et chacun a des pétards. Bientôt, des centaines de couleurs explosent au-dessus du lac. Le bruit s’intensifie jusqu’à devenir assourdissant. Il semble venir par vagues de l’autre côté du lac. A minuit, c’est la folie. La fumée âcre forme un brouillard qui vous brûle la gorge, le bruit est insupportable. C’est le moment de rentrer. C’est une jolie fête, tout le monde est content, les enfants courent partout, chacun a revêtu ses plus beaux habits. 

[…]

Maison centrale Vietnam : camps de rééducationNous passons la journée à vélo dans la ville ; en passant devant la prison, je réprime un frisson ; son austérité a quelque chose d’effrayant. On ose à peine imaginer l’intérieur ; c’est dans cet établissement de sinistre mémoire –appelé d’abord « maison centrale » par les Français, puis Hanoï Hilton, que les prisonniers américains durent déclarer devant des caméras que leur pays était dans l’erreur, que le communisme était la seule solution et affirmer qu’ils étaient bien traités. Un des prisonniers, par clignement des paupières parvint à envoyer un message en morse. Les Américains purent déchiffrer « torture ». Une vingtaine d’années plus tard, cette prison deviendra un musée ; une guillotine restera comme symbole des crimes commis par les Français sous la colonisation, mais bien sûr rien n’attestera ceux commis par les communistes. 

[…]

Le lendemain, c’est le départ. Sur le tarmac de l’aéroport de Hanoï, entre les vieuxTupolev de la Vietnam Airlines, deux GI’s décontractés, mâchent du chewing gum face à une vingtaine de boîtes métalliques. Ma première réaction est de chercher les caméras mais il s’agit de vrais soldats. J’apprends qu’ils sont venus chercher les corps des leurs, tombés il y a vingt ans. Le visage et la voix de Monsieur Van Loo me reviennent en mémoire « …on parle même de reprise du dialogue américano-vietnamien ; s’il reste des survivants, ils n’en ont plus pour enfant Vietnamlongtemps, jamais ils ne leur laisseront raconter ce qu’ils ont vécu. Le Vietnam est un beau pays, les gens sont gentils, préservés du tourisme de masse ; ce fut un voyage fort, j’ai rencontré des gens remarquables qui m’ont raconté leur histoire, m’ont ému et fait réfléchir. Toutefois, je n’ai pas eu ce sentiment de liberté dont j’ai l’habitude en voyage, le régime est encore trop oppressant.

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Nous arrivons à Bangkok, il y a plein de touristes en cette saison. Je retrouve Yoram, Deepak et Braham, dans un restau pour un dernier repas ensemble. Yoram aurait voulu aller en Indonésie mais en tant qu’Israélien, il s’est vu refuser le visa. Deepak et Braham rentrent en Australie. Moi, je ne sais pas encore : je ne connais pas la Malaisie, le Laos me plairait, mais le visa n’est valable qu’une semaine ce qui ne présente aucun intérêt pour moi. Je pense au Népal, c’est la bonne saison maintenant. Je vais aller marché un peu dans l’Himalaya !

On trinque une dernière fois « à l’amitié, l’amour, la joie ».

 

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La totalité des ventes du livre est reversé à un projet humanitaire mon association Kayumanis.